En passant une commande de neuf avions, le Sénégal affirme sa volonté de développer le secteur du transport aérien. Dans cet entretien, le ministre des Transports terrestres et aériens revient sur les contours de cette acquisition. Yankoba Diémé aborde également plusieurs sujets liés au prolongement du Train express régional, à la relance du chemin de fer…
Le Sénégal vient de passer une commande de nouveaux avions. Que représente cette signature pour le secteur aérien ?
Le Sénégal vient de signer à Dubaï une lettre d’intention. Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’un contrat définitif, mais d’un avant-contrat déterminant notamment dans le domaine du transport aérien. Pour matérialiser cet engagement, le Sénégal a dû verser un déposit de garantie, preuve de la volonté claire et ferme de l’État d’aller vers l’acquisition de ces aéronefs. En tant que ministre des Transports aériens, en signant cette lettre d’intention, j’engage Air Sénégal à concrétiser l’opération. C’est d’ailleurs la compagnie nationale qui signera le contrat final avec Boeing, sous le parapluie de l’État, puisqu’il s’agit du pavillon national. C’est un tournant décisif, parce qu’actuellement, nous sommes avec une flotte de quatre avions. L’augmentation de notre flotte, qui passerait de quatre à huit avions, entraînera un impact considérable sur l’emploi. En doublant notre potentiel opérationnel, nous prévoyons une croissance significative des emplois directs et indirects, bien au-delà de la proportion actuelle. Quand la compagnie nationale est à la tête du hub aérien, elle attire tout ce qui entre et qui va ruisseler pour aller dans tout l’écosystème aéroportuaire. C’est un tournant décisif parce que c’est le développement du hub aérien qui se concrétise de façon gigantesque.
Nous ambitionnons, avec Boeing, un accompagnement soutenu pour devenir la référence en Afrique de l’Ouest. Nous ambitionnons d’être le hub de l’Afrique de l’Ouest pour aller à la conquête du ciel africain. Le Sénégal a une position géographique stratégique. Si nous transformons ce que nous avons comme potentiel en opportunités, le ciel du Sénégal sera de l’or aérien.
Pourquoi qualifiez-vous cette décision de tournant décisif ?
Pour deux raisons majeures. D’abord, il s’agit de l’engagement le plus important du Sénégal dans le secteur aéronautique : neuf Boeing 737 MAX, des appareils capables de relier Dakar à toutes les grandes capitales européennes en vol direct. Ensuite, cette acquisition permettra de renforcer une flotte réduite à quatre avions. Lorsque nous aurons doublé ou triplé le nombre d’appareils, l’impact sur l’emploi direct et indirect sera considérable.
Air Sénégal deviendra davantage le moteur du hub aérien, entraînant tout l’écosystème : maintenance, handling, catering, services aéroportuaires… Ce partenariat avec Boeing dépasse l’achat d’avions. Nous ambitionnons un accompagnement soutenu, une montée en compétences et un positionnement comme référence en Afrique de l’Ouest.
« Tout comme dans l’aérien, le Sénégal dispose d’une histoire ferroviaire significative. Il est paradoxal et dommageable que cet outil, hérité de la période coloniale et crucial pour le transport de fret, soit aujourd’hui dégradé ».
Vous évoquez un potentiel géographique stratégique…
Absolument. Le Sénégal est idéalement positionné puisqu’il est à moins de six heures de l’Europe, à quatre heures de l’Amérique latine, à 8 heures de New York. Nous sommes un pays stable, avec une longue tradition aéronautique. Beaucoup ignorent que le Centre de Dakar gère l’ensemble du trafic au-dessus de l’Atlantique Sud, devant des puissances comme le Brésil ou les États-Unis. C’est un héritage à préserver ; ce qui renforce la nécessité de doter Air Sénégal d’une flotte moderne et adaptée à l’intercontinental comme au domestique. En plus d’être un pays stable, nous avons une histoire aéronautique à préserver. Beaucoup ne savent pas que c’est le Sénégal qui gère l’affiche océanique. Toutes les routes de l’océan Atlantique Sud sont gérées par le centre de Dakar, devant des pays comme le Brésil, les États-Unis. Le centre de Dakar indique les directions. Pour parler en français facile, les avions, c’est comme le véhicule ou le train. Le train, c’est sur des rails. Le véhicule, c’est sur la route, l’autoroute. L’avion circule sur des fils, c’est-à-dire des routes qui sont au-dessus, dans l’espace. Et ils sont en contact avec des agents du sol. Il n’y a jamais de coupure d’un avion en circulation, dans le cadre de la communication avec les agents du sol. C’est le Sénégal qui pilote, qui guide tous ces avions qui sont dans le sud de l’Atlantique. Il est crucial d’agir maintenant. Nous devons positionner Air Sénégal en la dotant de la flotte nécessaire pour couvrir non seulement les destinations nationales, mais aussi les lignes intercontinentales.
Avant d’aller à Boeing, à Dubai Airshow, je venais de la République tchèque pour la commande des avions d’une capacité moindre, mais qui sont destinés à la connectivité des pôles que nous sommes en train de mettre en place, avec la vision éclairée du Président de la République et la coordination soutenue du Premier ministre.
Comment intégrer les aéroports régionaux dans cette stratégie de relance ?
La vision du Chef de l’État est claire : démocratiser l’avion. L’aviation ne doit pas être élitiste. Les populations de Ziguinchor, Saint-Louis, Louga ou Kédougou contribuent au financement des infrastructures. Elles doivent en bénéficier. C’est pourquoi le programme PRAS, maintenu et élargi, concerne Saint-Louis, Ziguinchor, Matam et Ourossogui, Tambacounda et Kédougou et dans une seconde phase : Kaolack, Touba, etc. Nous avons travaillé avec une entreprise tchèque. Après des difficultés juridiques, la situation est résolue et les travaux doivent reprendre. Quand on parle de hub aérien, c’est un tout. Que ce soit le catering, c’est-à-dire la restauration, tout ce qu’on mange dans les avions, sont préparés dans une procédure rigoureuse avec des méthodes soutenues et qui respectent la réglementation aérienne. Un hub aérien, c’est la maintenance, qu’elle soit en ligne ou en présentiel. Quand vous descendez d’un avion, avant qu’un autre ne parte, des personnes font des vérifications. Un hub aérien, c’est aussi le handling. L’efficacité d’un aéroport se mesure à la rapidité avec laquelle les passagers récupèrent leurs bagages. Cette performance dépend d’un écosystème invisible : la sûreté et la sécurité. Toute l’équation réside dans la capacité à fluidifier le passage des voyageurs tout en maintenant un contrôle rigoureux et soutenu pour garantir la sécurité. Nous devons accélérer les processus pour faciliter la circulation, mais sans jamais compromettre la sécurité des passagers. La sûreté est un filet invisible : elle est souvent tenue pour acquise quand tout va bien, et son rôle essentiel n’est souligné que lorsque survient un incident.
Les infrastructures, on aurait pu avoir théoriquement qu’un grand aéroport à Dakar et être un hub du point de vue commercial. C’est possible d’agrandir Dakar, d’en faire l’aéroport le plus vaste de toute l’Afrique. Dakar, en tant que hub aérien majeur, est la porte d’entrée et de sortie. Ce rôle s’inscrit dans la vision du Chef de l’État d’un « Sénégal juste, souverain et prospère ». Cette notion de justice va au-delà du système judiciaire ; elle est avant tout sociale. La justice sociale signifie l’accessibilité des moyens de transport pour chaque citoyen, qu’il choisisse le car rapide, un véhicule moderne, le TER, ou qu’il ait la possibilité de prendre l’avion.
Le Sénégal vient d’obtenir des certificats majeurs de l’OACI. Que représentent-ils ?
C’est un moment historique. Depuis l’indépendance, le Sénégal attendait cette distinction. Les certificats de sûreté et de sécurité de l’OACI sont parmi les plus prestigieux au monde.
Trois critères déterminent l’attribution. D’abord fixer la moyenne mondiale, fixée cette année à 75 %, réaliser un bond d’au moins 15 % par rapport au dernier audit et enfin, ne pas enregistrer d’incident grave. Le Sénégal a obtenu 86 %, a progressé de 22 points par rapport au dernier audit (63 % en 2019) et n’a enregistré aucun incident majeur. Sur 193 pays, seuls 7 ont été primés cette année. Le drapeau sénégalais a flotté devant l’ensemble des nations. C’était un moment exceptionnel. Nous avons même dû défendre notre dossier, car une erreur du jury nous avait initialement omis pour le certificat de sûreté. Après intervention diplomatique, le jury a été reconvoqué : une première dans l’histoire de l’OACI. C’est ce que le président de l’OACI a appelé “le certificat de la témérité”.
Jadis stratégique, le chemin de fer est dans une profonde léthargie depuis quelques années ?
Le ferroviaire se porte mieux qu’avant, même si nous sommes encore loin des objectifs fixés. Le Sénégal a hérité de 1.040 km de rail, mais seuls 114 km sont encore opérationnels. Tout comme dans l’aérien, le Sénégal dispose d’une histoire ferroviaire significative. Il est paradoxal et dommageable que cet outil, hérité de la période coloniale et crucial pour le transport de fret, soit aujourd’hui dégradé. Le Président de la République a une vision sans équivoque sur ce sujet : il est impératif de relancer le secteur ferroviaire et l’intégralité de son écosystème. Bien qu’il s’agisse d’un chantier de longue haleine, la dynamique de reconstruction est enclenchée.
Relancer le rail signifie deux choses : moderniser et passer de la voie métrique à la voie standard. La ligne Dakar–Tamba, historiquement métrique, doit désormais être reconstruite en standard, comme partout dans le monde. La voie métrique, ce sont les anciens rails d’un mètre de largeur, sur lesquels roulaient les vieux trains. La voie standard fait 1,435 m, c’est ce qui permet de faire circuler les TGV et les trains modernes. C’est une voie plus robuste, capable de supporter des charges lourdes et de véritablement dynamiser l’économie.
C’est un projet majeur dont la phase d’études est avancée, mais il faut être réaliste : ces projets prennent 5 à 10 ans. D’où la nécessité d’être ingénieux et de le réaliser par étape, en s’appuyant sur l’existant. Le TER, par exemple, roule déjà sur du standard : c’est exactement le même type de rail qu’il faudra installer pour Dakar–Tamba.
Par ailleurs, nous avons récemment relancé le train Touba-Mbacké-Ngabou. C’est historique. Ce train fait partie du patrimoine immatériel de la communauté mouride, lié à la construction de la Grande Mosquée de Touba. Il répond également à un besoin urgent : transporter chaque jour des milliers d’élèves entre Touba et Mbacké, sur un axe devenu dangereux. On parlait d’un projet à 5 milliards. Finalement, grâce aux ingénieurs et techniciens sénégalais du Chemin de fer du Sénégal et de la GTS, et en réutilisant le matériel en stock, nous n’avons dépensé que 150 millions de FCfa. C’est un succès national, réalisé à 100 % par des Sénégalais. Aujourd’hui, les populations se sont appropriées le projet. Elles voient l’impact concret : sécurité, réduction des accidents, confort, régularité.
On parle désormais d’extension du Ter. En quoi est-elle stratégique ?
Sous l’impulsion du Président, l’extension Diamniadio-AIBD du TER est accélérée et sera opérationnelle avant les JOJ 2026. Sept nouvelles rames ont déjà été réceptionnées. Par ailleurs, le Premier ministre a demandé l’étude de l’acquisition de cinq rames supplémentaires. Cette démarche permettrait de réaliser une économie significative (20 à 30 %) en agissant avant la démobilisation du constructeur. Il est crucial de rappeler que le TER n’a jamais été conçu pour de courtes dessertes urbaines, mais pour sa vocation régionale : désengorger la capitale, réduire le coût de la vie et permettre aux travailleurs des régions éloignées, comme Kaolack, de rejoindre Dakar.
Pourquoi poursuivre le Ter alors que son coût initial a été critiqué ?
Il faut être cohérent. Lorsque des investissements colossaux ont été engagés, on ne peut pas démanteler. Il fallait donc prolonger le TER pour qu’il atteigne enfin sa vocation. Aujourd’hui, l’exploitation coûte à l’État 15 à 18 milliards de FCfa par an à cause des clauses du contrat initial. Mais l’extension vers Thiès va augmenter fortement la fréquentation et réduire la subvention. Cette extension va aussi changer l’organisation du territoire : beaucoup d’usagers laisseront leur voiture à Thiès, prendront un TER rapide, et cela désengorgera Dakar tout en développant Thiès.
Comment encadrer et stabiliser les tarifs du transport routier, notamment en période de pèlerinages religieux, afin d’éviter les hausses spéculatives et d’assurer une meilleure organisation du secteur ?
Il faut réglementer, former, sensibiliser, mais aussi sanctionner. Les états généraux des transports publics, avec 96 % de consensus, ont produit des recommandations validées par le Président. Notre travail, c’est la mise en œuvre. Tout ce que nous avons fait sur Air Sénégal, les rails, les Jakarta, le modèle économique de l’aéroport, fait partie de ces recommandations.
Qu’en est-il de la régulation des VTC (plateformes numériques) et des taxis classiques ?
C’est une avancée vers la modernité qu’il faut accompagner. Mais il faut protéger les taxis classiques qui, eux, payent une licence et contribuent fiscalement. Les plateformes paient leurs impôts, mais il faut organiser la concurrence pour qu’elle soit loyale et éviter les abus. Dans ce cadre, nous modernisons les taxis jaunes et noirs avec un projet de 2.000 véhicules à gaz, produits au Sénégal. Le pays est producteur de gaz : il faut aligner notre modèle énergétique et notre mobilité.
Quelles sont les mesures réglementaires en cours ?
Il y a le nouveau décret limitant l’âge d’importation des véhicules (8 à 10 ans, 10 à 15 selon le type), signé et en cours de publication. Il y a aussi le renforcement des sanctions pour la vidéo verbalisation. La phase test réussie sur l’autoroute Ila Touba : ceinture, téléphone au volant, excès de vitesse… tout est désormais monitoré automatiquement. Il ne faut pas oublier la révision du Code de la route qui sera bientôt soumise à l’Assemblée.
Un an après votre prise de fonction, quel bilan tirez-vous de cette période, notamment en termes de réalisations clés et de défis rencontrés ?
Un ministre n’a pas un bilan personnel. Le bilan est celui du Président de la République. Nous livrons des projets, conformément à ses orientations. Parmi les livrables, nous pouvons citer l’axe Touba-Mbacké-Ngabou. Il y a aussi l’enrôlement des Jakarta et bientôt les cartes grises. Le prolongement du TER et la réception de 7 rames supplémentaires. La renégociation du contrat du PSD, qui restitue 24 milliards à l’État. La restructuration du groupe Air Sénégal (handling, maintenance, catering). La commande stratégique de 9 avions avec Boeing. Les économies d’énergie massives dans l’administration. Le renouvellement du parc automobile : 500 taxis produits localement dès décembre, 100 bus pour Aftu, et un programme massif en 2026…la liste n’est pas exhaustive. Tout cela alimente le bilan du Président et pose les bases d’un système de transport moderne, sûr et souverain.


