Marqué à jamais par les stigmates du conflit armé en Casamance, Kaguite renaît à travers un trésor inattendu : la mangue. Dans ce village aux terres généreuses, les plantations ont remplacé les silences pesants de la guerre. Ici, les vergers nourrissent des familles entières.
ZIGUINCHOR – Sur les chemins poussiéreux menant à Kaguite (sud-ouest de Nyassia, département de Ziguinchor), les manguiers dressent leurs bras feuillus comme pour protéger les mémoires blessées par un triste passé. Autrefois englouti dans les tumultes du conflit casamançais, ce village proche de la frontière avec la Guinée-Bissau retrouve peu à peu son souffle par la force des racines ; celles des manguiers. Dès les premières lueurs de ce lundi 30 juin 2025, Kaguite s’éveille au rythme des sécateurs, des paniers en plastique et des rires d’enfants cueilleurs. À perte de vue, des hectares de manguiers aux fruits gorgés de soleil. Chaque arbre raconte une histoire de résilience, chaque fruit, une promesse d’espoir.
Kaguite, c’est aussi Sidya Dabo, producteur engagé, revenu au bercail après avoir roulé sa bosse avec la Fao et d’autres structures agricoles. « Depuis 2016, j’ai mis en place un bloc maraîcher et je mise sur la production de mangues. Mon ambition, c’est de transformer ce village en pôle de formation pour les jeunes et les femmes dans l’agriculture », lance-t-il avec passion. Il parle de la mangue comme d’un trésor mal apprécié. « Nous avons de l’or ici. L’État doit aider à structurer cette filière. Il faut des unités de transformation, une vraie route, un accompagnement technique », préconise-t-il. Mais, le rêve de structuration se heurte, hélas, à une réalité désolante : l’état déplorable de la route Dialang-Kaguite, que les villageois appellent avec ironie « la promesse non tenue depuis cinq ans ». La difficulté majeure des Kaguitois, c’est cette piste défectueuse qui gâte les fruits et tue les rêves. Ce tronçon, censé relier ce gros village au reste de la région, est devenu un véritable casse-tête logistique.
Les camions hésitent, les prix du transport flambent et les mangues mûres pourrissent au pied des arbres. « On a les financements, nous dit-on, mais rien ne bouge », regrette Sidya Dabo. « Sans route, le kilo baisse à 200 FCfa » Léon Diédhiou, un autre planteur trouvé dans son quartier de Djiringessamaye, le confirme. « Cette année, la production est exceptionnelle. Mais, sans route, les collecteurs baissent les prix. Le kilo est à 200 FCfa. C’est dérisoire. On pourrait mieux faire si le produit était transformé localement », soutient ce père de famille qui possède une quinzaine de manguiers tout autour de sa maison. Pour Léon, la mangue devrait être le moteur d’un développement local et durable. En cette période de campagne de la mangue, Kaguite fait bosser plusieurs jeunes. Parmi les silhouettes élancées entre les branches, celle de Malick Boye, 18 ans, attire l’attention.
Élève en classe de Première à Bignona, il a choisi de passer ses vacances d’une manière peu commune : en grimpant et en cueillant des mangues. « Je gagne plus de 2000 FCfa par jour. C’est dur, mais c’est un choix. Je veux aider mes parents à payer mes fournitures scolaires », explique-t-il, le regard fier. Comme lui, des dizaines de jeunes viennent prêter main forte durant la saison. Pour eux, la mangue n’est pas qu’un fruit, c’est une opportunité, un début de parcours entrepreneurial, parfois même une échappatoire à l’oisiveté ou à l’exil forcé. Un fruit qui fait vivre 80 % des familles À Kaguite, près de 80 % des familles vivent directement de la mangue. La filière fait vivre, soigne, scolarise et nourrit. On y vend par carton, par pied, par camion. Chaque arbre est un capital. Chaque verger, un gagne-pain. Et pourtant, les pertes sont énormes, notamment à cause d’un fléau silencieux : la mouche des fruits. Loin des pesticides coûteux, les producteurs rivalisent d’ingéniosité. « On utilise un mélange de crème nette et de muscade. C’est naturel, efficace. Mais, l’État refuse, car ce n’est pas homologué », déplore Sidya Dabo.
À travers Kaguite, c’est toute la Casamance qui s’exprime, silencieuse mais fertile, riche mais négligée. Ce village martyr a choisi de transformer ses douleurs en saveurs, sa mémoire en richesses agricoles. La mangue n’y est pas qu’un fruit. Ici, elle symbolise la mémoire, la survie, la dignité et le futur. Mais, sans routes, sans appui technique, sans usine de transformation, ce potentiel risque de pourrir sur place comme les fruits tombés à terre. Pourtant, tous les ingrédients sont là : les terres, les mains, le savoir-faire, les variétés « kent », « ket », « sukar », « papaye », etc. Il ne manque que la volonté politique. Kaguite est un territoire d’or vert, un modèle à ciel ouvert d’une agriculture qui pourrait inverser le destin d’une région.
Par Gaustin DIATTA