À Montréal, le professeur Khadiyatoulah Fall magnifie la souveraineté du verbe et l’héritage intellectuel africain
Montréal (Canada) — La première édition des Rencontres interculturelles de Paris s’est déplacée, le temps d’un souffle poétique et intellectuel, à Montréal, où s’est tenu le Gingembre littéraire sous l’égide de Gorgui Wade Ndoye.
Dans son discours d’ouverture, le Professeur émérite Khadiyatoulah Fall (Université du Québec à Chicoutimi) a livré une méditation vibrante sur la « souveraineté du verbe » et la force symbolique de la diaspora.
Une pensée enracinée dans la métaphore du vivant
« Le gingembre n’est pas qu’une plante ; il est une métaphore du vivant, une racine du lien. Arraché, transplanté, infusé, il garde sa vigueur », a lancé d’entrée Khadiyatoulah Fall, saluant « l’intelligence des choix symboliques » des organisateurs. Selon lui, la métaphore du gingembre renvoie à la vitalité des diasporas africaines, capables de « circuler sans perdre leur essence », d’allier mémoire et mouvement, fidélité et invention.
Diaspora et souveraineté : une articulation nouvelle
L’universitaire sénégalo-canadien a posé une idée forte : « La diaspora n’est plus un exil mélancolique ; elle devient une puissance d’interprétation du monde. » Dans sa perspective, la souveraineté ne se limite plus au territoire, mais se déplace vers le sens, le langage, la création. « Aujourd’hui, la souveraineté n’est plus la possession d’un espace, mais la maîtrise du sens en circulation », affirme le professeur, membre honoraire de la CERII et du CELAT.
Cette souveraineté du verbe, explique-t-il, « n’est pas autoritaire ; elle est hospitalière. Elle ne cherche pas à dominer, mais à ouvrir des espaces de reconnaissance mutuelle. »
Boubacar Boris Diop, incarnation d’une souveraineté intellectuelle
Le conférencier a longuement salué la figure de Boubacar Boris Diop, invité d’honneur de cette édition.
« Son œuvre, à la fois littéraire et philosophique, explore le lieu fragile où se rejoignent mémoire diasporique et souveraineté narrative », a déclaré Khadiyatoulah Fall.En écrivant en wolof, poursuit-il, Boris Diop « n’a pas cherché le repli identitaire, mais l’élargissement du monde par la fidélité à soi ». Pour lui, l’auteur de Murambi, le livre des ossements et de Doomi Golo incarne une « diplomatie du sens », un écrivain qui fait de la langue maternelle un outil de liberté et de lucidité.
Montréal, laboratoire des diversités
Dans un passage empreint d’émotion, le professeur Fall a salué la symbolique du lieu : « Montréal est une ville-laboratoire des diversités, où se croisent les langues, les héritages et les imaginaires. » Évoquant la récente élection d’une mairesse issue de l’immigration, il y voit « la maturité d’une société qui ne craint plus la pluralité, mais l’assume comme une source d’énergie démocratique ». La métropole québécoise devient ainsi, selon lui, le terrain idéal pour penser « la souveraineté partagée » et « le dialogue des imaginaires ».
Un hommage à Gorgui Wade Ndoye, “tisseur de ponts”
Saluant le fondateur du Gingembre littéraire, Gorgui Wade Ndoye, le professeur Fall a souligné le rôle essentiel des passeurs culturels : « Gorgui n’est pas seulement un organisateur d’événements : il est un tisseur de ponts, un veilleur d’humanité. » À travers son travail, la diaspora « cesse d’être dispersion » pour devenir « géographie de continuités ».
Vers une politique du lien
Pour Khadiyatoulah Fall, la diaspora n’est pas un simple souvenir des origines, mais une puissance active, un gingembre du monde : « La diaspora est une racine ardente, une mémoire en mouvement, un remède contre l’oubli, la saveur du lien retrouvé. » Et de conclure : « La vraie souveraineté n’est plus dans la clôture, mais dans la relation. Elle ne s’impose pas par la force, mais se tisse dans la confiance. »
Par cette vision, le Gingembre littéraire se positionne comme un espace de réconciliation entre mémoire et modernité, entre pensée critique et hospitalité culturelle. Un laboratoire du sens où la parole devient racine et la diaspora, matrice du monde à venir.


