Cette année, sur les 40 239 candidats de la série L’1 ayant passé le Baccalauréat, seuls 4 285 ont décroché leur premier diplôme universitaire au premier tour, soit un taux de réussite de 10,65 %. Une catastrophe pour les séries littéraires. Interpellés sur les raisons d’un tel échec à l’échelle nationale, les professeurs soulignent notamment la baisse généralisée du niveau des apprenants, la non-adaptation des profils orientés dans ces séries, mais aussi, l’ambiguïté des consignes des épreuves, notamment en français.
Considérée en général comme la série « la plus facile » des séries littéraires, la L’1 n’a pas obéi cette année à cette idée reçue du commun des mortels. Pour le premier tour du Baccalauréat, sur les 40 239 candidats, seuls 4 285, soit 10,65 %, ont pu décrocher leur diplôme sur l’étendue du territoire national. Dans la plupart des centres, aucun candidat en L’1 n’a pas pu franchir le premier tour. Une baisse de performance, imputée à certains professeurs, s’ajoute au déclin généralisé du niveau des apprenants, ainsi qu’à l’orientation de profils non adaptés en L’1.
« Nous avons remarqué que souvent, c’est par rapport à l’orientation même des candidats. Lorsqu’ils sont orientés en Seconde, c’est souvent en fonction de leurs notes au Brevet de fin d’études moyennes (Bfem). Ceux qui ont les meilleures notes en seconde S sont orientés d’office. Les autres, ayant 12 et moins, sont dirigés vers la L. En Première, lorsqu’il s’agit de choisir entre la L’1 et la L2, là aussi, les meilleurs sont orientés en L2 », regrette Ndeye Coura Ndiaye, professeure de français au Lycée Moderne de Rufisque, dans la banlieue dakaroise.
Une série pour les meilleurs profils littéraires
Malheureusement, poursuit Mme Ndiaye, ceux qui sont orientés en L’1 « n’ont pas de profil ». Qu’en soutient-elle ? La série L’1, à l’origine, c’est l’équivalent de la S1. C’est une série pour les meilleurs élèves, ceux qui ont de bons profils littéraires. Ce sont ceux qui excellent en français, dans les langues. Il est urgent de revaloriser le profil de ces séries : le coefficient en français est de 6, tout comme en philosophie et en Langue vivante 1 (Lv1), c’est-à-dire l’anglais ou d’autres langues. Ce sont les matières dominantes en L’1.
« Malheureusement, on amène les élèves qui n’ont pas de profil réel. Ceux qui sont bons nulle part. Et les conséquences, on les voit à l’examen, malheureusement. C’est là, fondamentalement, le problème. Je pense qu’il faut aussi secouer les élèves, lorsqu’ils arrivent en L’, pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont les capacités, comme les autres. La L’1, ce n’est pas une série réservée aux nuls. Donc, il faut revoir l’orientation », indique cette professeure de français.
Un taux de réussite qui tire de plus en plus vers le bas
À l’instar de Mme Ndiaye, son collègue Djibril Sow, professeur de philosophie dans le même lycée, reconnaît qu’il y a un problème de profil qui se pose. Il trouve que la série est tellement hybride qu’on ne sait plus quel est le profil à orienter en L’. « La plupart du temps, ce sont des élèves qu’on ne sait pas où caser, qu’on oriente en L’. Mais le constat aussi, c’est que depuis quelques années, le taux de réussite en L’ devient de plus en plus faible au premier tour. En revanche, ils sont plus nombreux au second tour », renchérit-il.
En dehors des profils, Abdourahmane Mané, professeur de français au lycée Ahoune Sané de Bignona, estime que cette année, la consigne de la dissertation « n’est pas très claire ». Elle était sujette à plusieurs interprétations, tant chez les élèves que chez les correcteurs lors des consultations. Aucun avis n’était laissé de manière anonyme, comme cela aurait dû être le cas dans les commentaires ou résumés.
« Avec la dissertation, la consigne n’était pas très claire. En tant que professionnels, nous avons eu du mal à être d’accord sur un point. Que dire alors des élèves ? C’est ce qui explique que beaucoup d’entre eux, selon ce que j’ai corrigé, ont fait un hors sujet. Donc, ce n’est pas seulement une question de niveau des élèves », affirme M. Mané.
« Une consigne, elle doit être très claire »
Pour ce professeur affilié au Syndicat des Enseignants Libres du Sénégal (SELS), avec la réforme, les consignes améliorées devaient éviter ces ambiguïtés. Elles devraient rendre la dissertation plus accessible, car il rappelle qu’ils disposent d’un barème de correction fixe et très clair.
« Nous travaillons en littérature. Donc, une consigne doit être très claire, afin que l’apprenant sache ce qu’on attend de lui. Beaucoup de collègues ont décidé d’adopter des consignes clarifiées, afin qu’il n’y ait pas de discussion possible. Sinon, on revient à la case départ, c’est-à-dire comment commenter et discuter. Nous préparons nos élèves à ce genre de consignes », ajoute M. Mané.
Repenser la série L’
Certes, l’ambiguïté de la consigne du sujet de dissertation en philosophie comme en français a constitué un obstacle. Cependant, M. Sow reste convaincu que c’est « plus un problème de niveau ». « Ce ne sont plus les élèves forts en littérature qui sont orientés dans cette série. Il faudrait repenser la série L’. Il faut se poser la question de sa pertinence », préconise ce professeur de philosophie du lycée moderne de Rufisque.
Et si les élèves ne comprennent pas ce qu’ils lisent, affirme-t-il, cela « pose problème ». Il pense qu’il faut donner le goût de la lecture à ces élèves et repenser sérieusement la série L’. « Aujourd’hui, même les élèves qui ont le profil pour cette série refusent de s’y orienter. Ils pensent que c’est une série reléguée au second plan. Ils préfèrent tous faire la L2 », indique-t-il.
Ce désamour pour la lecture chez les élèves, rapporté par sa collègue Mme Ndiaye, est aujourd’hui amplifié par la percée du numérique. « C’est un constat que l’on fait pour toutes les séries. On dispose de techniques pour les obliger à lire un peu, mais même lorsqu’on leur propose des exposés, ils se limitent à ce que leur offre l’IA. Ils trouvent leurs sources sur le web », déplore-t-elle.
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Mariama DIEME