Entre Colobane et Fass, dans le tumulte d’un Dakar en perpétuel mouvement, s’élève une école qui ne ressemble à aucune autre : le CEM Kennedy. Derrière ses murs fleuris et ses bancs recyclés, cette école de jeunes filles incarne un modèle pédagogique, écologique et citoyen innovant.
« Quand je suis arrivée ici en 2013, il n’y avait rien : pas d’électricité, pas d’eau, une seule salle de classe », se souvient Mme Aminata Sar Kanté, principale du CEM Kennedy. Depuis, l’établissement a connu une transformation spectaculaire. Ce qui était une cour caillouteuse est devenu un havre de verdure, un espace d’apprentissage et d’épanouissement pour plus de 600 jeunes filles. À première vue, rien ne distingue le CEM Kennedy d’une autre école de Dakar. Mais il suffit de franchir le portail pour comprendre que cet établissement est unique en son genre. Les pistes pavées bordées d’arbres, les bancs écologiques faits de bouteilles plastiques, les pneus recyclés transformés en sièges ou en éléments décoratifs : tout ici respire l’innovation et l’engagement environnemental. « Ce que vous voyez aujourd’hui est le fruit d’un management participatif », insiste Mme Kanté.
En dix ans, grâce à l’appui des parents d’élèves, des partenaires et à une vision éducative audacieuse, l’école s’est hissée au rang de modèle national. Dès les premières années, l’implication communautaire s’est révélée capitale : collecte de bouteilles plastiques pour construire des bancs, aménagement d’un jardin pédagogique, tri des déchets intégré au quotidien. « Ici, on vit l’écocitoyenneté. Même les serviettes de goûter sont en tissu, pas de plastique à usage unique », note la principale avec fierté.
Une école zéro déchet
À Kennedy, l’environnement n’est pas une matière à apprendre, mais une culture à vivre. Chaque élève connaît les principes de compostage, participe à la collecte de déchets non biodégradables et s’implique dans l’aménagement du jardin potager. « On avait même un poulailler pour enrichir le compost », confie Mme Kanté. Ce système circulaire permet d’alimenter la cantine scolaire en produits transformés localement par les élèves elles-mêmes : confitures, sirops, ou encore nougats.
L’enseignement au CEM Kennedy dépasse largement les matières classiques. Dès la sixième, les élèves suivent des cours de développement personnel, de leadership, d’entrepreneuriat et d’informatique. Elles apprennent à rechercher , mais aussi à coudre, cuisiner, jardiner ou faire du savon. Le mercredi et le vendredi après-midi, l’établissement se transforme en un véritable laboratoire de créativité. « On a même des mini-foires pour vendre les produits réalisés », indique Rokhaya Ibrahima Dia, élève en 4ᵉ et cheffe du projet d’entrepreneuriat PFPI.
Un cadre structurant et bienveillant
Chaque détail est pensé pour favoriser l’épanouissement des jeunes filles : hygiène irréprochable des toilettes, gestion rigoureuse de la cour, repas du matin gratuit trois fois par semaine pour prévenir l’anémie, distribution de fer et de serviettes hygiéniques. « Ici, on ne badine pas avec le bien-être des filles. Elles sont entre elles, en sécurité, et ça change tout », martèle Mme Kanté.
Culture, sport, citoyenneté, les activités extrascolaires foisonnent. Entre les clubs de musique, de littérature, d’art, de sport et de sciences, chaque élève trouve sa voie. L’école accueille chaque année des événements culturels, comme le fameux « Déjeuner culturel » où les ethnies du Sénégal se réunissent pour célébrer leurs traditions. « Chaque ethnie est dirigée par un professeur. On apprend les danses, les plats, les cérémonies. C’est une école de la vie », raconte la principale, qui dirige le groupe sarahoulé.
Faute de bibiothèque d’envergure, les élèves fréquentent le Centre Culturel Blaise Senghor, partenaire privilégié de l’établissement. Chaque semaine, les élèves s’y rendent pour lire et découvrir d’autres formes de culture. « Cela leur apprend aussi le silence, le respect du lieu et le goût de la lecture », souligne Mme Kanté. Le modèle Kennedy porte ses fruits : 88 % de réussite au BFEM en 2024. Et cela, sans tri préalable à l’inscription. « Nous n’écrémons pas. Nos résultats viennent du travail, de l’encadrement et de la rigueur », précise la principale. Plusieurs élèves ont obtenu des moyennes supérieures à 18. L’une d’entre elles a même été repérée pour sa prise de parole face à un homme politique (P.M) de premier plan sur l’éducation.
Une école qui rayonne au-delà de ses murs
Au fil des années, le CEM Kennedy est devenu une référence, notamment grâce à sa participation à des projets comme le PFPI (Projet de Formation Professionnelle pour l’Inclusion), soutenu par la Fondation Mastercard. Les élèves produisent, exposent, vendent et réinvestissent. Certaines ont même lancé leurs petites activités à domicile, vendant des nougats ou des objets en wax dans leur quartier.
Ce modèle n’aurait pas été possible sans une cheffe d’établissement visionnaire. Formée en gestion des ressources humaines, en gestion de projet, puis en diplomatie, Mme Kanté a su conjuguer pédagogie, innovation et engagement social. « On m’appelle Mme Projet », dit-elle dans un sourire. Le CEM Kennedy est plus qu’une école : c’est un écosystème, un laboratoire d’expériences éducatives, un espace d’épanouissement pour des jeunes filles promises à un bel avenir.
Par Daouda DIOUF