Le centre de couture de Thiabecare offre aux filles exclues du système éducatif un espace d’apprentissage et d’épanouissement. Grâce à cette formation, elles ont les moyens de s’émanciper et d’être les actrices de leur propre avenir.
Il fait un peu plus de dix heures en cette matinée de décembre. Le ciel est dégagé et un air de joie flotte sur Thiabecare, un village situé dans la commune de Dindéfélo (arrondissement de Bandafassi), d’habitude calme.
Le vrombissement des motos Jakarta rompt le silence et entretient une bruyante atmosphère. Les femmes sont dans leurs plus beaux atours et arrivent par petits groupes. Ce jour est particulier pour ces familles puisque 17 de leurs filles vont recevoir leur attestation après avoir bouclé leur formation d’une année en couture à l’atelier, le centre formation créé par le fondateur du campement « Tako Mayo », Alpha Diallo.
L’homme œuvre beaucoup dans le social en investissant une partie de ses revenus. Il est aidé par la famille de Susana Torre et l’association « Bassari d’Afia Thiabecare ». Si dans les villes les gens s’apprêtent à fêter Noël, les populations de la commune de Dindéfelo, et même au-delà, célèbrent leurs filles qui ont désormais une qualification professionnelle. L’atelier leur a offert une deuxième chance pour réussir et s’épanouir dans la vie. Le pari n’était pas évident.
Dans ce milieu, les opportunités ne sont pas nombreuses et les filles décrochent vite de l’école. Visages radieux, les apprenantes portent des longues robes bleues claires. Aissatou Diallo, 16 ans est aux anges. Elle fait partie des récipiendaires. Vivant à Kédougou avec sa mère, elle a arrêté ses études en classe de 6e au collège.
« Je n’étais pas une brillante élève. Au bout d’une année d’études, j’ai dû arrêter parce que je m’ennuyais », confie la jeune fille. Teint clair, taille élancée, Mlle Diallo est très belle. Dans un éclat de rire, elle indique que les soupirants ne manquent pas. Le même enthousiasme habite Mariama Sira Diallo, 18 ans.
« Avant de venir au campement Tako Mayo, je ne savais pas quoi faire de ma vie. J’étais un peu perdue. Grâce aux cours de couture, j’ai découvert une passion. Je suis fière de moi et je remercie Alpha de m’avoir donné cette opportunité », témoigne la jeune fille.
Originaire du village de Palèle Kindassa dans la commune de Dindéfélo, elle a été inscrite à l’atelier par sa mère après avoir abandonné l’école, une année après avoir décroché l’entrée en 6e. Dans la zone, précise-t-elle, les abandons sont fréquents notamment en ce qui concerne les filles. On comprend alors leur joie et leur fierté. « Je suis content de ma fille. Je n’espérais pas qu’elle pouvait avoir une qualification professionnelle en quittant tôt l’école », confie, tout sourire, Hawka Touré.
Deux de ses filles sont passées par l’atelier avant qu’il ne les donne en mariage. « Cette formation leur a permis d’avoir un métier. Dans leur ménage, elles font la couture qui leur rapporte de l’argent. Grâce à leurs revenus, elles subviennent à leurs besoins et aident leurs maris », se réjouit M. Touré.
«Grâce aux cours de couture, j’ai découvert une passion»
Les apprenantes, souvent issues de familles aux revenus modestes, affirment que l’atelier leur insuffle une énergie positive. Si les filles entrevoient le mariage, beaucoup nourrissent des ambitions à la fin de la formation. Certaines envisagent de parfaire leur formation et d’ouvrir leur propre atelier. « Je vais me reposer un mois. Ensuite, j’irai à Kédougou me perfectionner en coupe avant de m’installer dans mon village », déclare Mariama Sira Diallo, qui a un fiancé vivant à Dakar.
Les plus ambitieuses rêvent de devenir de grandes couturières à l’image de Néné Diallo. Aujourd’hui, Alpha Diallo est submergé par les demandes. Elles viennent de tout l’arrondissement de Bandafassi et même des villages frontaliers de la République de Guinée. Pourtant, au début, il lui a fallu être persuasif pour convaincre les parents de laisser leurs enfants venir à l’atelier apprendre un métier et avoir une profession.
« Lors de la première année, le centre n’avait que trois élèves. Beaucoup de parents étaient réticents à l’idée que je retienne leurs filles une année durant à l’atelier », confie Alpha Diallo, avec un sourire malicieux. Depuis les choses ont évolué. Positivement. Les listes sont bouclées rapidement. Certaines filles attendent une année voire deux ans. L’atelier semble également semer en elles, l’altruisme. Toutes les filles rêvent d’ouvrir à leur tour des centres de formation pour aider leurs sœurs cadettes qui ont abandonné tôt les études.
« L’atelier a offert aux filles un espace d’apprentissage et d’épanouissement et leur a permis d’avoir confiance et de nouvelles perspectives. Grâce à la formation, elles ont les moyens de s’émanciper et d’être les actrices de leur propre avenir », déclare Idrissa Camara, formateur à l’atelier. Sans fournir de chiffres, le maire de la commune de Dindéfélo, qui a tenu à assister à la cérémonie de remise des attestations de formation, souligne que le taux de déperdition scolaire est important dans la zone à cause des difficultés liées, entre autres, à l’hébergement, aux mariages précoces. Kikala Diallo salue le travail du fondateur du campement Tako Mayo.
« En plus de la formation des filles, Alpha fait de nombreuses réalisations dans la commune et dans l’arrondissement de Bandafassy. Il a toujours des initiatives heureuses qui améliorent le quotidien des populations», magnifie-t-il. Toutefois, l’édile aurait aimé que le bienfaiteur de la communauté puisse bénéficier d’une reconnaissance et d’un appui des autorités étatiques. Cette absence de soutien met en colère Hawka Touré.
« Avec tout ce que fait Alpha Diallo, aucune autorité n’est passée le voir encore moins le soutenir alors que c’est l’Etat qui aurait dû faire ce travail », fulmine-t-il. « Les ministres de la famille, de la formation professionnelle, de l’éducation et de la santé devaient venir ici à Thiabecaré l’encourager », ajoute-t-il.
Ce père de famille sait les retombées de cette formation. En acquérant des compétences en couture, les jeunes filles peuvent créer trouver un emploi et avoir un revenu. Les plus entreprenantes peuvent même créer leur entreprise, gagnant ainsi en autonomie.
Par Mamadou GUEYE