À la croisée de la médecine (ancienne présidente de l’Union internationale des gynécologues) et de l’engagement citoyen, le Dr Rose Wardini Hachem s’engage depuis des mois maintenant dans la construction de salles de classe pour lutter contre le phénomène des abris provisoires. Si elle assume le mécénat, elle a aussi développé un modèle innovant d’implication des populations bénéficiaires.
Après des années à parcourir le pays avec ses caravanes médicales, la fondatrice de l’association « Médecine pour la solidarité » en 2003 a décidé de recentrer ses efforts sur la lutte contre les abris provisoires dans les écoles à travers un programme qu’elle a nommé « Zéro abris provisoires ». Un engagement qui entre en droite ligne avec l’ambition du gouvernement d’éradiquer ces constructions précaires d’ici 2025. Le 02 octobre 2024, le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, ordonnait en Conseil des ministres le lancement immédiat d’un vaste programme de résorption des abris provisoires et de réhabilitation des établissements scolaires. Ce programme vise à construire des infrastructures éducatives répondant aux normes, afin d’améliorer les conditions d’enseignement et d’apprentissage à travers le pays.
« Cette décision m’a beaucoup sensibilisée. Nous sommes en 2025, on ne devrait plus voir ça », confie le Dr Wardini. L’idée d’agir sur ce front n’est d’ailleurs pas nouvelle dans ses activités sociales. « Au-delà des caravanes médicales, nous avions beaucoup fait dans la réfection d’écoles, de cases de santé, de structures communautaires. C’était donc une suite logique », rappelle-t-elle. Mais l’appel du président Diomaye Faye a servi de catalyseur pour accélérer l’engagement de son mouvement, « Sénégal Nouveau ».
Au mois de décembre 2024, le premier site d’intervention fut le bloc administratif de l’école de Mangoulène (à 9 Km de Bignona), tombé en ruines. « Il faut préciser que nous avons opté pour une démarche d’implication des concernés eux-mêmes. La sensibilisation avant les travaux. C’est du diapal ma diap (se donner la main – Ndlr), comme on dit en Wolof. J’amène le ciment, ils font les parpaings. Et impliquer la jeunesse dans la construction de leur pays. En deux mois, nous l’avons entièrement reconstruit. » Mais sur le terrain, la dynamique s’est vite élargie.
« Quand nous avons terminé, la maternité s’est signalée, elle aussi dans un état inqualifiable. Nous avons les images ; les gens de la mosquée aussi ». Finalement, la maternité du village, puis la mosquée, également délabrées, ont été rénovées à neuf dans la foulée. « Naturellement, les demandes ont afflué de partout », souligne-t-elle.
Dans une école de l’Unité 19 des Parcelles Assainies, à Dakar, elle découvre deux blocs fermés, remplacés par des abris provisoires, entraînant une surcharge des autres classes. Là aussi, les blocs sont reconstruits par les soins de son association, les salles de classe repeintes, l’école rénovée. « Toujours avec la démarche citoyenne, le don de soi. Nous avons même joué sur la santé environnementale en plantant des arbres dans l’école. » Nous sommes en action dans d’autres localités, comme Bitibiti, dans la zone des palmiers en Casamance, où une maternelle s’est effondrée après la chute d’un arbre. Ou encore à Guinguinéo, au Cem Aboubacry Diaw, dont les quatre abris provisoires en paille et en « krinting », devraient être de l’histoire ancienne sous peu.
« C’est important car on ne répétera jamais assez qu’un pays ambitieux doit agir sur le développement à la base », répète-t-elle. Partout, le modèle repose sur la mobilisation locale : « Il faut impliquer les habitants. Ce sont leurs enfants qui y vont. C’est leur responsabilité. » Et quand elle dit « don de soi », elle parle d’un vrai engagement bénévole : « Ces nouveaux bâtiments, ce sont les parents qui les financent en partie, qui les construisent, avec l’implication de la jeunesse. »
Le Dr Wardini se félicite d’un début de coordination avec les autorités. Mais elle insiste : « Nous ne comptons pas nous arrêter. » Des demandes parviennent de Kaffrine, Louga, Gossas, et bien d’autres régions, selon elle. Pour la Saloum-Saloum, l’essentiel est de continuer : « Un pays qui veut se développer doit miser sur l’éducation de base. »
Elle croit fermement qu’avec une telle dynamique citoyenne, « d’ici 2027, on pourrait éradiquer tous les abris provisoires, si tout va bien ». Mais son association ne se limite pas à l’éducation. Elle reste aussi mobilisée sur la santé communautaire : circoncisions, dépistages, soins médicaux. Le tout porté par des bénévoles, comme depuis vingt ans. Pour elle, le développement du Sénégal doit « partir de la base », avec un « autre type de Sénégalais, conscient que l’État ne peut pas tout faire seul ».
Propos recueillis par Samboudian KAMARA