Elle est le symbole des tirailleurs sénégalais massacrés à Thiaroye le 1er décembre 1944. Logée au cœur du camp militaire éponyme, l’école élémentaire Les Martyrs A de Thiaroye Gare est aujourd’hui, laissée pour compte. À l’instar des soldats noirs, elle ne bénéficie pas d’une reconnaissance à la hauteur des différentes personnalités sénégalaises qu’elle a formées.
Nous sommes dans la banlieue dakaroise, plus précisément au Camp militaire de Thiaroye. Dans cette localité historique, se trouve l’école primaire Les Martyrs A, qui a donné naissance aux établissements scolaires voisins Martyrs B et C. Qui sont respectivement une école élémentaire et un Collège d’enseignement moyen (Cem). Créée depuis 1954, l’école est aujourd’hui dans un état de délabrement avancé. Pas de portail principal. Le mur de l’école qui la sépare du dépôt de légumes du marché de Thiaroye, touché par l’humidité, est aussi tombé en partie, renversé par un des camions déchargeant du granite à côté. Ici, loin de l’image d’une école moderne, du 21e siècle, les bâtiments qui abritent les salles de classe sont, pour la majorité, dégradés et croulent sous le poids de l’âge. « Il n’y a pas de porte d’entrée et cela complique davantage la sécurité des lieux. Je viens de parler au maçon et il m’a promis de passer réparer le mur et nous refaire le portail », confie la Directrice de l’école, Aïssata Ibrahima Ba.
Trouvée dans son bureau bâti au milieu d’une grande cour sablonneuse, Mme Bâ, affectée à Martyrs A depuis octobre 2023, d’un ton désemparé souligne qu’ils sont exposés. « Il y a une insécurité totale qui règne ici. L’école n’est pas aussi bien éclairée. Et cela pose problème », explique-t-elle. En plus, se désole Mme Bâ, l’établissement, à cause de sa position, reste un passage privilégié pour les riverains qui la traversent ou escaladent les murs pour accéder aux quartiers Guinaw Nord et Guinaw Sud, à la mairie, au camp militaire, à l’hôpital de Pikine ou encore au lycée de Thiaroye. « Chaque jour, on est victime de pillages, parfois en pleine journée. C’est une zone de refuge pour certains. Des personnes passent même la nuit au sein de l’école », regrette la Directrice de Martyrs A.
Des rondes fréquemment menées par les militaires
La proximité avec le camp militaire aide un peu à sécuriser les lieux. Mme Bâ salue le travail des militaires du camp de Thiaroye qui souvent, font des rondes nocturnes. Pour eux, l’établissement est aussi un symbole de l’histoire de ce quartier notamment son passé colonial. Dans cet établissement mixte, on trouve des classes pour l’enseignement franco-arabe et celles réservées uniquement au français. Et, les apprenants viennent, d’après le Directeur adjoint Abdoulaye Diop, de Thiaroye-Sur-Mer, de Guinaw Rail, de Lansar, de Tally Diallo et même de Pikine.
Au-delà des questions sécuritaires, le doyen, comme l’appelle ses collègues, évoque également le danger qu’encourent les apprenants pour rejoindre l’école. « Les élèves franchissent difficilement les deux voies pour venir à l’école ou rentrer. Il y a des motos et des voitures qui passent à tout moment et c’est trop risqué. De plus, avec l’hôpital, on a les ambulances qui roulent à vive allure, les taxi-clandos et tous ceux qui amènent des malades », note M. Diop. Même s’il n’a été témoin d’un accident mortel, il relève qu’il y a souvent des élèves percutés par des auto-cyclistes ou automobilistes. « Nous avons vraiment cette hantise des accidents », avoue le doyen de l’école Martyrs A, qui a déposé ses valises dans cette école depuis 2006.
Un pan de l’histoire
Doudou Diébakhaté, aujourd’hui enseignant dans cet établissement, y a fait également le cycle élémentaire. À ses débuts en 1988, notre interlocuteur renseigne qu’il y avait douze classes. Interpellé sur l’histoire de l’école, M. Diébakhaté, informe que le lieu abritait le camp des sapeurs-pompiers. Et le nom de l’école des Martyrs de Thiaroye vient des tirailleurs. « C’est pour que les gens puissent immortaliser nos grands-pères qui ont fait la guerre pour la France. C’est une très grande fierté pour moi d’être enseignant là où j’ai fait mes premières années d’apprentissage. Et, la classe qui m’a beaucoup marqué, c’est celle où je faisais le Cm2 », narre-t-il avec fierté.
Cette fierté, M. Diébakhaté la justifie par le fait qu’ils avaient des maîtres « tellement exceptionnels ». « Ils nous faisaient des chansons, nous racontaient beaucoup de choses, surtout M. Sadio. Franchement, on comprenait la vie avec lui. Ce sont de vieux souvenirs qui nous poussent à travailler davantage, à encourager les enfants à plus de réussite et à plus de volonté dans ce qu’ils font », dit-il d’un brin nostalgique. Aujourd’hui, qu’ils soient maîtres ou anciens élèves de Martyrs, le plaidoyer reste le même : voir le visage de l’école changer, pour l’épanouissement et la sécurité des centaines d’enfants innocents qui la fréquentent.
ME AMADOU SALL, ANCIEN PENSIONNAIRE DE L’ECOLE
« Martyrs A était une des écoles les plus fleuries du Sénégal »
Réservée, à ses débuts, aux enfants bourgeois de la banlieue, selon Me Amadou Sall, qui a fait son cursus scolaire dans cet établissement, à l’instar du Professeur Souleymane Mboup, l’école dispensait un programme français et il y avait aussi des enseignants français. « C’est à partir de 1949, nous a-t-on dit, que l’école a été ouverte, aux populations indigènes. Donc, le niveau d’enseignement était très élevé. Il y avait le sérieux, la rigueur dans l’enseignement et puis les résultats étaient particulièrement bons », rapporte l’ancien élève des Martyrs A.
Ayant intégré l’école en 1962 pour les Cours d’initiation (Ci), l’ancien ministre de la Justice de 2009 à 2010, éminent avocat, constate avec regret, l’état de dégradation dans lequel se trouve cet établissement qu’il a fréquenté jusqu’en 1969. « Quand on y va maintenant, on a mal au cœur parce que c’était une des écoles les plus fleuries du Sénégal. Il y avait des fleurs partout. Et chaque classe était responsable d’un parterre. On aimait les fleurs qu’on appelait les belles du jour qui allaient éclore le matin. On s’en occupait. Du coup, on avait cet amour aussi de la nature », se rappelle l’avocat avec fierté.
Si l’école était bien entretenue, c’était en partie liée au fait qu’elle était une partie intégrante du camp militaire. « C’était dans un ensemble qui était en harmonie avec la nature. Être dans le camp, y rester, c’était aussi être en harmonie avec la nature. Et cela nous a tous donné un certain amour de la nature notamment des fleurs », renchérit Me Sall.
Mariama DIEME