Par un après-midi, nous voyions, la semaine dernière, l’installation d’un matériel de sonorisation, de nattes… par de parfaits inconnus juste en face de notre domicile. Pas de doute possible, ça devait être une séance de « thiant » ou de « diangue » comme on dit. Du fait de voisins mus par cette volonté de « rendre grâce au Seigneur ». Le moment devrait s’étirer jusqu’au soir au vu des l’espace occupé et des habitudes de ce genre de rencontres. Quel refuge devrions avoir alors que la grippe avait fini de nous réduire en loque humaine. Pourtant aucun avertissement pour les voisins. Les essais pour la sono se poursuivaient juste avant que le tempo ne soit donné par certainement les leaders de cette soirée religieuse qui avaient fini de prendre place aux premières loges. Les disciples formaient des cercles tandis que de bonnes dames et jeunes filles complétaient l’assemblée de fidèles. Le bruit, l’écho des chants fruits de la lecture de petits livrets récités, la clameur portée par la voix d’ensemble couvraient tout. Plus rien n’était audible. Il y en avait que pour l’expression des chants religieux entonnés par de jeunes hommes virils.
Chacun semblant essayer de prouver à l’autre être plus connaisseur des panégyriques ou plus imprégné du message rien qu’à voir leur élan et allant. Le rythme allait crescendo et chacun semblait y trouver le sien. Et pourtant nous avions mal au plus profond de nous-mêmes de cette grippe qui ne nous lâchait plus depuis quelques jours. Mais surtout de cette intolérance qui fait qu’un voisin en arrive toujours à dicter sa volonté au nom de sa religion. Ou de sa volonté de tenir une manifestation familiale en barrant la route ou en l’obstruant, rendant même souvent impossible tout passage ou même transport de patient par exemple. Pourtant une idée germait en nous : Pourquoi pas s’installer à la porte de la maison, en face du beau monde, et allumer une clope pour signifier que chacun en a pour son fardeau ? C’en aurait été une très belle réponse à l’agression subie. Ferions-nous comme le personnage d’Albert Camus qui osa aller au cinéma le lendemain du jour du décès de sa mère, donnant à réfléchir au caractère versatile de la vie et des choses ? Nous ne savons pas si c’est la maladie ou le fameux « Masla » sénégalais qui nous a retenu d’une telle attitude.
Mais il était temps que la fin de la récréation soit sifflée pour un minimum de respect du tant chanté « commun vivre » sénégalais qui se traduit par une violation systématique des droits du voisin. C’est ainsi que le gouverneur de la région de Dakar, Ousmane Kane, a, dans un communiqué en date du 7 octobre « porté à la connaissance des populations que, conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur, toute occupation de la voie publique, à quelque titre que ce soit, doit être préalablement déclarée à l’autorité administrative compétente, au moins trois jours avant sa tenue ». Une attitude adoptée après que l’autorité régionale a été « informé qu’il a été constaté, ces derniers temps, la tenue de cérémonies publiques à caractère familial ou traditionnel (baptêmes, mariages et autres évènements similaires) sur la voie publique sans déclaration préalable, entrainant des perturbations de la circulation, des nuisances sonores et des risques pour la sécurité publique ». Elle aurait pu ajouter des risques pour la santé publique également. N’empêche que le gouverneur a été fondé de rappeler aux populations que la « voie publique est un espace commun destiné à la libre circulation des personnes et des biens ; son utilisation à des fins privées ne peut se faire qu’à titre exceptionnel ».
Félicitations au gouverneur Kane même si d’aucuns pensent qu’il s’agit là d’une énième mesure qui ne sera pas suivie à la lettre. Le drame de ce pays est que tout acte de loi ou réglementaire reste négociable.
Toute violation est expliquée par des circonstances atténuantes. Et toute punition méritée annihilée par l’intervention d’un parent ou d’une connaissance « bien placée ». L’occupation de la voie publique, que ce soit par des chants religieux ou autres ou encore des constructions débordant le lit naturel d’une maisonnée, doit être sévèrement punie. Et que la notion de la voie publique ne puisse souffrir d’aucune ambiguïté en ce sens qu’elle est respectée par tous. Si d’autres en Afrique l’ont réussi, nous pouvons y parvenir au Sénégal. Mettre de l’ordre dans l’espace public suppose que nous soyons en quête d’ordre dans nos vies, notre quotidien. Mais également une éducation à la discipline.