Les séries littéraires enregistrent des performances particulièrement inquiétantes à l’examen du Bac. Selon certains professeurs et élèves, ce constat est le reflet d’un domaine miné par des défaillances pédagogiques, des orientations par défaut et un désintérêt croissant pour les lettres.
Les séries L semblent incarner un affaissement dramatique au regard des premiers résultats du baccalauréat 2025. Un effondrement dont les causes sont à chercher à la fois dans la salle de classe et dans les politiques éducatives. Pour Fatou Bâ Sagna, professeure de français au lycée Blaise Diagne, « les élèves n’ont plus cette volonté manifeste d’étudier, de réussir. Les réseaux sociaux, la distraction permanente, les détournent de la lecture et de l’effort intellectuel ». Elle va plus loin en affirmant : « même quand les œuvres sont au programme, c’est rare d’avoir un élève qui dit les avoir lues en entier ».
Selon Mme Sagna, l’abandon progressif de la lecture au profit de contenus instantanés semble avoir vidé l’enseignement littéraire de sa substance. Elle évoque aussi le problème du langage d’enseignement : « Quand j’explique certaines notions en wolof, le message passe mieux. Cela veut dire qu’il faut repenser notre approche pédagogique ». La professeure appelle ainsi à une refonte des méthodes, ainsi qu’à l’introduction raisonnée des langues nationales — à condition toutefois que les enseignants soient formés à cet effet. Pour Rokhaya Mbaye, professeure d’anglais, les résultats ne sont que le reflet d’une tendance lourde, observée depuis quelque temps dans le système éducatif : « Les résultats reflètent le niveau catastrophique observé dans les classes. La série littéraire est devenue un fourre-tout. Les meilleurs vont en série S, les moyens en L2, et les faibles, sans profil clair, en L1 », indique Mme Mbaye.
Elle déplore une orientation qui n’est plus fondée sur les compétences ou les aptitudes réelles des élèves, mais sur des logiques de remplissage, aggravant ainsi les inégalités de départ. À cela s’ajoute un déficit profond dans la formation continue des enseignants. Selon elle, un professeur peut rester dans une salle de classe pendant quinze ans sans jamais être accompagné ni évalué, si ce n’est lors de son inspection de sortie de l’Ecole normale. « Ce manque de suivi et d’encadrement affaiblit durablement la qualité de l’enseignement, notamment dans les disciplines littéraires », a-t-elle affirmé.
Aliou Bakhoum, professeur de lettres au lycée Seydou Nourou Tall, remet également en question les contenus enseignés. « Il y a des œuvres classiques qu’on maintient dans les programmes, mais qui n’attirent plus les élèves. On devrait aller vers Cheikh Hamidou Kane, Amadou Hampâté Bâ, etc. Des auteurs qui parlent de nos réalités », soutient-il. Pour lui, «l’école est coupée de son temps, prisonnière d’un modèle figé qui n’offre plus ni inspiration ni identification. ». Des programmes à bout de souffle Aliou Bakhoum insiste aussi sur la question de la langue comme obstacle transversal. « Lorsqu’un élève ne comprend pas bien le français, il est pénalisé non seulement en littérature, mais aussi dans toutes les autres disciplines, y compris les matières scientifiques », souligne-t-il d’emblée.
Le savoir, dit-il, devient inaccessible non par manque d’intelligence, mais à cause de la barrière linguistique. M. Bakhoum plaide pour une pédagogie multilingue, mais bien encadrée, avec des enseignants formés et des contenus adaptés. Les élèves confirment ce malaise. Aminata Sidibé, candidate non admise en L2, confesse : « Il y a une grande différence entre ce qu’on étudie et ce qu’on trouve dans les sujets. En philo par exemple, certaines formulations sont incompréhensibles ». Moustapha Ndiaye, admis au second tour, estime que « l’épreuve de géographie était trop technique, avec des exigences de raisonnement qui dépassaient ce que l’élève a vu en cours ».
Face à ce tableau alarmant, les enseignants interrogés insistent sur la nécessité d’entreprendre des réformes en urgence. «Il faut d’abord revoir les mécanismes d’orientation pour ne plus faire des séries littéraires des voies de relégation. Les élèves doivent être dirigés selon leurs aptitudes réelles, et non en fonction de leur échec à intégrer les filières scientifiques », ont-ils souligné. « La formation des enseignants doit également devenir une priorité nationale. Non seulement au moment du recrutement, mais tout au long de leur carrière, à travers des visites pédagogiques régulières, des ateliers d’échange, des renforcements de capacités et une évaluation continue », ajoute Mme Mbaye.
« La littérature peut encore être un levier d’émancipation, à condition qu’elle parle aux élèves d’aujourd’hui, dans leur langue, leur contexte, leur culture », fait-elle savoir. Ce travail, selon elle, «doit être conduit avec rigueur, mais aussi avec une volonté politique ferme, pour rompre avec la logique de la déconnexion et redonner un sens à l’apprentissage des lettres». «Le métier d’enseignant doit être revalorisé, tant sur le plan technique qu’éthique», renchérit Aliou Bakhoum, qui estime aussi que les programmes doivent être revus en profondeur.
Il ne s’agit pas, selon lui, d’introduire seulement des œuvres africaines dans les curricula, mais d’interroger les finalités mêmes de l’enseignement littéraire. « Le piège serait de traiter ce problème de manière sectorielle. Il faut une approche globale, qui interroge aussi bien la politique éducative que les outils pédagogiques et le rapport des jeunes au savoir », note M. Bakhoum. Il estime que le déclin des séries littéraires ne se résume pas à une baisse de niveau : « Il traduit une crise globale du système éducatif, où se croisent les lacunes d’orientation, les carences pédagogiques, la fracture linguistique et une perte de sens face à un modèle scolaire de plus en plus déconnecté des réalités sociales ».
Daouda DIOUF