En novembre prochain, en Ouzbékistan, l’Unesco va désigner son nouveau directeur général. Deux candidats sont en lice. Il s’agit du Congolais Firmin Édouard Matoko et de l’Égyptien Khaled Ahmed El-Enany Ali Ezz. Dans un entretien accordé au « Soleil » via Internet, M. Matoko, riche d’une carrière de plus de 30 ans dans cette organisation onusienne, revient sur son parcours, les raisons de sa candidature et sa vision. Une fois élu, il promet d’engager les changements nécessaires en portant un regard nouveau sur l’Afrique.
Firmin Édouard Matoko, présentez-nous les grandes lignes de votre parcours pouvant justifier votre ambition de diriger l’Unesco…
Je suis né à Brazzaville, d’un père congolais et d’une mère vietnamienne. Cette double origine m’a appris à voir la diversité comme une richesse. Depuis plus de trente ans, je sers l’Unesco. J’ai commencé en Afrique, à Dakar, puis exercé en Amérique latine et en Asie, avant de diriger au siège le secteur Afrique et les Relations extérieures. J’ai travaillé dans tous les domaines de l’Organisation — éducation, sciences, culture, communication. J’ai vu en Haïti comment l’éducation pouvait rebâtir après une catastrophe ; en Irak, combien la culture pouvait être un rempart contre la violence ; en Afrique, que les langues et savoirs endogènes sont des leviers de paix. Ce parcours m’a forgé une conviction : l’Unesco n’est pas seulement une institution, c’est une idée vivante, au service de la paix.
Comment votre élection serait-elle bénéfique à l’organisation ?
Parce que l’Unesco joue, aujourd’hui, sa survie. Sous pression financière et politique, elle risque de perdre son âme. Il faut quelqu’un qui la connaisse de l’intérieur, capable de la réformer sans la déstabiliser, et rapidement. Mon expérience dans tous les secteurs et sur trois continents me donne la légitimité d’engager des réformes ciblées, réalistes et concertées. Je veux préserver la vocation universelle de l’Unesco et restaurer la confiance des États membres. Réformer l’Unesco, ce n’est pas la casser, c’est lui rendre sa force.
Quelle est votre vision de l’Unesco ?
Depuis 1945, l’Unesco est la conscience du système onusien : le lieu où l’on pense la paix par l’éducation, la science, la culture et la communication. Elle doit, aujourd’hui, redevenir ce laboratoire d’idées. Ma vision est claire : une Unesco indépendante, universelle et moderne, capable d’anticiper les défis contemporains — l’éthique de l’intelligence artificielle, la crise climatique, la fracture éducative, les menaces sur la diversité culturelle. Je crois que l’Afrique peut être le laboratoire d’une Unesco universelle : c’est ici que se joue l’avenir de l’éducation, des langues, de la jeunesse, mais aussi l’expérimentation de nouvelles solutions en matière de science et de technologies comme l’IA.
Vous êtes opposé au candidat égyptien. Quels sont vos atouts ?
Mon atout, c’est d’être un homme de l’Unesco, pas d’un bloc régional. J’ai servi sur trois continents et dans tous les secteurs. J’ai appris à réformer dans des contextes fragiles sans jamais rompre l’équilibre. Je suis reconnu comme un homme de consensus, indépendant, et capable de rassembler largement autour d’une vision universelle. Pour avoir été témoin des réformes engagées au sein de cette organisation, je sais qu’elles sont nos limites et notre potentiel de changement dans tous les domaines. Je sais ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas. Je ne répéterai pas les erreurs du passé, j’engagerai les changements nécessaires avec lucidité et exigence.
Quelles seront vos priorités une fois élu directeur général ?
Une fois élu, j’engagerai un audit indépendant dès mon arrivée, pour fonder les réformes sur un diagnostic clair. La jeunesse, avec le programme « Générations Unesco », pour former à la citoyenneté, aux sciences et à la culture de paix, ne sera pas en reste. Il en est de même pour les femmes bâtisseuses de paix, actrices clés dans les zones de crise. Les océans et le climat, enjeux vitaux pour les pays côtiers comme le Sénégal et les petits États insulaires. La culture et les langues, pour protéger le patrimoine mondial et valoriser les savoirs endogènes. Enfin, nous porterons un regard nouveau sur l’Afrique qui reste une priorité stratégique pour l’Unesco, celle d’une Afrique dynamique, qui invente, qui crée et qui s’impose comme un continent d’espoir.
Propos recueillis par Aliou KANDE