Alors que le pays s’engage dans la transformation de son système éducatif, l’atelier national de restitution du RESEN et de présentation du rapport « Le prix de l’inaction », tenu hier à Dakar, appelle à des décisions courageuses fondées sur les données. Des chiffres préoccupants, des coûts exorbitants et une ambition renouvelée tracent les contours d’un avenir éducatif à reconstruire.
Réunis hier à Dakar, le Gouvernement du Sénégal, ses partenaires techniques et financiers, ainsi que les représentants de la société civile ont dressé un diagnostic sans concession de l’état de l’éducation nationale. Le Rapport d’État du Système Éducatif National (RESEN) et le rapport mondial sur « Le prix de l’inaction », publié par l’UNESCO, l’OCDE et le Secrétariat du Commonwealth, ont été présentés conjointement. Deux outils d’analyse rigoureux qui éclairent à la fois sur les failles structurelles du système éducatif et les conséquences économiques et sociales dramatiques de l’inaction.
Pour Mme Khady Diop Mbodj, secrétaire générale du ministère de l’Éducation nationale, « il s’agit d’un moment crucial qui nous offre une opportunité de construire une vision claire des défis auxquels nous devons répondre mais aussi des opportunités à saisir pour mieux transformer durablement notre système éducatif. »
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Un système éducatif sous tension : progrès relatifs, défis persistants
Selon les données du RESEN, le Sénégal a connu une croissance notable des effectifs scolarisés depuis 2012 dans tous les cycles éducatifs, notamment dans le préscolaire, le secondaire et la formation professionnelle. L’enseignement supérieur n’est pas en reste avec un nombre d’étudiants plus que doublé. Toutefois, cette dynamique demeure insuffisante face à l’explosion de la demande.
Le rapport signale que 37,8 % des enfants de 6 à 16 ans, soit près de 1,86 million, sont encore hors du système scolaire, note le représentant de l’Unesco M.Husson. Les zones rurales et certaines régions comme Kaffrine, Diourbel ou Matam sont les plus touchées. « Malgré l’élargissement de l’accès à l’école, une part importante des élèves sénégalais n’atteint toujours pas les compétences minimales attendues », a averti Guillaume Husson, chef du secteur Éducation au bureau régional de l’UNESCO.
En 2019, l’évaluation du programme « Jàngandoo » révélait que plus de 70 % des élèves avaient des lacunes sérieuses en lecture, Mathématiques et compréhension. Des inégalités structurelles freinent l’accès à une éducation inclusive, en particulier pour les enfants en situation de handicap, a fait constater Guillaume Husson.
Le coût de l’inaction : une bombe à retardement économique et sociale
Le second rapport présenté lors de l’atelier, intitulé « Le prix de l’inaction », est sans appel : les déficits d’apprentissage coûteront au Sénégal l’équivalent de 5 milliards de dollars d’ici 2030, soit 17 % de son PIB. À ces coûts fiscaux et économiques s’ajoutent des conséquences sociales : hausse des grossesses précoces, de la violence, des homicides et de l’oisiveté chez les jeunes déscolarisés.« Les enfants non scolarisés et ceux qui n’acquièrent pas les compétences de base génèrent des coûts tant monétaires que non monétaires », a souligné Guillaume Husson, insistant sur l’urgence d’un investissement massif dans une éducation de qualité.
Face à ces constats, l’atelier a été l’occasion de rappeler les engagements du Sénégal à travers le PAQUET 2018-2030 (Programme d’Amélioration de la Qualité, de l’Équité et de la Transparence) et la Lettre de Politique Sectorielle de Développement (LPSD 2025-2029). La vision est ambitieuse, alignée sur la Stratégie Nationale de Développement (SND 2025-2029) et la Vision Sénégal 2050. « Le RESEN ne se limite pas à une photographie du système éducatif. Il constitue un outil stratégique d’aide à la décision pour adapter les politiques en fonction des besoins réels du terrain », a souligné Mme Mbodj. L’analyse sectorielle doit permettre « d’orienter les décisions stratégiques aux différents niveaux de gouvernance », fait-elle remarquer
L’UNESCO, partenaire clé du processus, s’engage à « accompagner le Sénégal dans les prochaines étapes : élaboration d’outils de planification, renforcement des capacités, et mise en œuvre des politiques éducatives »,d’après son représentant M.Husson
Impliquer tous les acteurs : du national au local
Pour une transformation durable, les intervenants ont insisté sur la nécessité d’une appropriation collective des données issues du RESEN. « Les centres de décision ont un rôle crucial à jouer pour fonder chaque réforme sur des analyses pertinentes », a rappelé Mme Mbodj. Les inspections d’académie (IA) et les inspections de l’éducation et de la formation (IEF), en particulier, devront adapter les stratégies aux réalités locales, renseigne la secrétaire générale du ministère de l’Education nationale. Mme Mbodj a aussi tenu à préciser que cette étude a été menée dans un cadre holistique en intégrant la formation professionnelle et l’enseignement supérieur
Un appel a été lancé pour organiser des sessions de partage au niveau régional, afin que les acteurs déconcentrés puissent jouer pleinement leur rôle de relais. L’inclusivité a été un mot-clé du plaidoyer. Il est impératif, selon Mme Mbodj, d’associer les enseignants, les parents, les syndicats, les chercheurs, les partenaires techniques et la société civile à l’élaboration et à la mise en œuvre des réformes à venir.
Une responsabilité collective et une opportunité historique
L’atelier de restitution du RESEN et du rapport sur le « Prix de l’inaction » a servi de tribune pour réaffirmer une volonté politique forte et mobiliser toutes les parties prenantes autour d’un objectif commun : réformer profondément le système éducatif sénégalais pour construire un avenir meilleur. « Nous devons faire de ce RESEN un levier puissant pour accompagner la transformation du système éducatif », a fait savoir Mme Mbodj. « Un outil permettant de guider nos prises de décisions afin de mieux garantir un avenir meilleur à chaque élève du Sénégal », a-t-elle relevé.
Le message est clair : ne pas agir coûte cher. Mais agir avec rigueur, lucidité et équité peut permettre au Sénégal de franchir un cap décisif dans la construction d’un capital humain à la hauteur de ses ambitions. La conclusion de ces travaux qui ressortiront des perspectives claires, permettra d’avoir des leviers importants pour impulser une nouvelle dynamique éducative.
Daouda Diouf