Les cantines scolaires jouent un rôle important dans l’épanouissement des élèves. Mais un constat amer : leur couverture a dramatiquement chuté.
Les premières cantines scolaires au Sénégal ont vu le jour dans les années 1960 grâce à des organisations étrangères. Cependant, c’est en 2009 que la Division des cantines scolaires a été officiellement créée et rattachée au ministère de l’Éducation nationale. Sa mission principale : assurer la promotion et le développement de ces structures dans les établissements scolaires. Trois ans plus tard, en 2012, le Sénégal a adopté une politique d’alimentation qui reconnaît la restauration scolaire comme une opportunité de valoriser la production locale.
Malgré ces initiatives, depuis 2014, on observe une réduction de la couverture des cantines scolaires, passant de 53% en 2012 à moins de 20% aujourd’hui. Une étude menée en 2022 par le Programme alimentaire mondial (Pam) révèle que le pourcentage de couverture des cantines scolaires au Sénégal n’est que de 24,3%. Plus préoccupant encore, lors du conseil interministériel sur la rentrée 2024-2025, il a été constaté que le Sénégal compte actuellement 14.330 écoles et établissements sans cantine.
L’État invité à prendre en main le financement des cantines
Selon El Hadji Seck, responsable de la Division des Cantines Scolaires au ministère de l’Éducation nationale, le financement de ces structures au Sénégal fait face à plusieurs défis majeurs. Il souligne d’emblée que la dépendance aux financements externes constitue une grande fragilité. « Les ressources fournies par les partenaires internationaux ne sont pas toujours stables ou suffisantes pour couvrir l’ensemble des besoins, notamment en périodes de crise économique », a-t-il relevé. De plus, il mentionne l’insuffisance des ressources nationales allouées à ce domaine, exacerbée dit-il, par les priorités concurrentes dans le budget de l’État et des collectivités territoriales. D’après lui, cela limite les efforts des acteurs nationaux à garantir une couverture complète des cantines scolaires à l’échelle nationale. « Le coût souvent élevé des denrées alimentaires, lié à l’inflation et à l’instabilité des prix des produits agricoles, représentent également un obstacle, rendant difficile l’atteinte des objectifs de couverture planifiés, surtout dans les zones rurales », explique-t-il.
M. Seck souligne aussi l’inefficacité de certains mécanismes de gestion des ressources, due à l’absence d’un mode opératoire consensuel national ainsi qu’à un déficit de formation et de sensibilisation des acteurs à la base. « Ces défis soulignent la nécessité d’une stratégie de financement innovante et pérenne, impliquant des partenariats public-privé, des investissements domestiques accrus et une meilleure allocation des ressources disponibles », dit-il.
Cheikh Mbow, le Directeur exécutif de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique (Cosydep) estime qu’une véritable politique d’alimentation scolaire doit être financée par des ressources intérieures issues du budget de l’État. « Nous sommes convaincus que, pour garantir le respect du droit à une alimentation saine, équilibrée et suffisante, l’État doit prendre en main le financement des cantines au lieu de le laisser aux bailleurs étrangers. Dans de nombreux pays, l’alimentation scolaire fait partie intégrante de l’offre d’éducation, au même titre que le curriculum, le matériel et les supports pédagogiques », a déclaré M. Mbow. Il estime qu’il est impératif de corriger cette faiblesse, d’engager davantage les collectivités territoriales à développer des programmes de cantines scolaires et de responsabiliser les populations et les organisations communautaires dans leur gestion.
Selon lui, il est clairement établi qu’une éducation de qualité exige des intrants de qualité à savoir des enseignants bien formés, des supports pédagogiques de qualité, un environnement d’apprentissage sécurisé, mais aussi et surtout, des élèves jouissant de leurs pleines facultés physiques et mentales. « Une bonne alimentation constitue ainsi une composante déterminante pour accroître les performances des élèves. Lorsqu’un élève arrive à l’école le ventre vide, sa capacité d’écoute et de concentration n’est plus optimale et son développement psychomoteur et cognitif s’en trouve compromis », explique-t-il, soutenant que les cantines scolaires permettent d’accroître également le taux de fréquentation, l’épanouissement des enfants, le maintien des élèves issus de ménages modestes et l’amélioration de leurs performances.
L’équation de la durabilité
En outre, il reconnaît que les cantines scolaires peuvent contribuer à assurer une souveraineté alimentaire durable. Elles constituent un maillon essentiel dans l’économie circulaire locale, à travers un mécanisme endogène d’approvisionnement qui stimule l’agriculture locale, valorise les produits locaux et renforce les habitudes alimentaires fondées sur les vivres locaux. Dossou-Yevo Hyppolite est le chargé de communication et plaidoyer à Counterpart International, une organisation américaine qui s’active dans les cantines scolaires au Sénégal notamment dans les régions de Kolda et Sédhiou à travers le projet Sukaabe Janngo. Celui-ci en est à sa deuxième II. Selon lui, 285 écoles de ces différentes localités bénéficient depuis 2022 de cantines scolaires et il en sera ainsi jusqu’en 2026. Ces établissements, dit-il, ont été sélectionnés en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale, la division des cantines scolaires et l’Inspection d’académie (Ia). « Nous sélectionnons les écoles qui ont un effectif important. Pour qu’une école soit sélectionnée, il faut qu’elle ait au minimum plus de 100 élèves », précise Hyppolite, ajoutant que Counterpart met en place toute une logistique pour le bon fonctionnement des écoles ciblées. « Nous installons le dispositif de la cuisine, nous fournissons les vivres et nous formons tous les acteurs impliqués, c’est-à-dire les cuisinières et les membres du comité de gestion », explique-t-il. Toutefois dit-il, le problème des cantines scolaires réside dans leur durabilité. C’est pourquoi, il estime qu’il est recommandé de travailler avec les communautés pour développer des champs communautaires ou des jardins scolaires qui vont assurer le ravitaillement des cantines en légumes. « La plupart du temps, c’est la mobilisation communautaire qui fait défaut. Quand la cantine fonctionne bien et que la communauté se mobilise, nous constatons que ça marche », reconnait Dossou-Yevo Hyppolite.
Aliou DIOUF