Psychologue conseiller au Centre national de l’Orientation scolaire et professionnelle, Ngor Dieng analyse en profondeur les causes psychologiques, sociales et culturelles de la tricherie scolaire. Il appelle à une prise de conscience collective, une responsabilisation des familles, une réforme de l’encadrement pédagogique et une valorisation de l’éthique scolaire.
Quelles sont, selon vous, les principales raisons qui poussent un élève à tricher lors des examens nationaux ?
Il y a plusieurs raisons qui peuvent pousser un élève à recourir à la tricherie. Mais nous pouvons retenir d’abord un défaut de préparation sérieuse, car un examen se prépare dès le début de l’année scolaire ; même si une bonne préparation n’est pas toujours synonyme de réussite. Il faut aussi noter le manque de confiance en soi, qui peut amener un candidat à rechercher des solutions de facilité comme la tricherie, ou encore certaines formules magico-religieuses censées offrir la réussite sur un plateau d’or.
La pression familiale et sociale, alimentée par la concurrence entre familles et les compétitions sociales, n’est pas à négliger. Les élèves, surtout ceux en classe d’examen, subissent souvent une forte pression parentale qui peut les pousser à chercher des raccourcis vers la réussite.
À cela s’ajoute, entre autres, une certaine tendance de la société sénégalaise actuelle à glorifier la réussite facile, celle que l’on peut obtenir sans mérite ni effort, souvent inspirée par des comportements d’adultes considérés comme des modèles dans le vol ou le détournement. Les élèves qui trichent sont de potentiels détourneurs de biens public, car, comme dit le proverbe, « qui vole un œuf, volera un bœuf ».
Quel rôle joue la pression sociale ou parentale dans le développement de comportements de tricherie chez les élèves ?
J’ai déjà évoqué cette pression sociale et parentale, comme vous l’avez mentionné. Nous vivons dans une société du paraître et de l’exhibitionnisme, où le moindre succès, fût-il sans éclat, est largement exposé grâce à la magie du clic et des réseaux sociaux. Cette société suscite volontairement l’envie chez l’autre, crée inutilement la concurrence entre familles, quartiers, villages et régions, dans une dynamique malsaine qui favorise une pression sociale constante, difficile à supporter pour les plus jeunes.
Le rôle des parents devrait être un accompagnement bienveillant de leurs enfants. Ils doivent les encourager à explorer leur potentiel, à se surpasser et à donner le meilleur d’eux-mêmes pour réussir. Mais pour cela, encore faut-il qu’ils s’intéressent véritablement aux études de leurs enfants, et pas seulement pendant la période des examens, mais tout au long de l’année scolaire.
Je rappelle que cette pression sociale peut conduire les élèves à tricher, tout comme elle peut pousser les jeunes adultes à traverser l’océan ou le désert dans le cadre de l’immigration clandestine à la recherche d’un eldorado occidental, au péril de leur vie.
Peut-on dire que la tricherie est parfois le symptôme d’un mal-être ou d’un désengagement scolaire ?
Oui, mais elle peut être aussi le symptôme d’une société malade, où l’effort, le culte du travail et le mérite sont relégués au second plan au profit des raccourcis, de la malhonnêteté, de la paresse et de l’impunité.
Toutefois, on pourrait bel et bien revoir notre manière d’organiser les compositions et les examens, la façon d’évaluer les élèves, de proclamer ou d’interpréter les résultats. En somme, il convient de s’interroger sur le « désengagement scolaire » aussi bien du côté des élèves que de certains enseignants, mais aussi des parents. Car l’éducation, une affaire très sérieuse, est au début et à la fin de tout développement.
Quelles conséquences psychologiques la tricherie peut-elle avoir sur un élève, à court et à long terme ?
Comme il y a des causes à la tricherie, il y a forcément des conséquences. L’élève qui a l’habitude de tricher en fera une arme, qu’il espérera pouvoir utiliser en toute circonstance pour s’en sortir. Or, s’il se retrouve dans une situation qui neutralise cette « arme », il sera comme désarmé, sans argument, et voué à l’échec.
Il deviendra partisan du moindre effort, pensant qu’il pourra toujours recourir à la tricherie. Il développera alors des stratégies de contournement qui finiront par miner sa personnalité, entamant son intégrité, son honnêteté et sa responsabilité.
En outre, l’habitude de tricher peut ouvrir la voie à d’autres vices. Chercher à réussir sans effort ni mérite peut mener à toutes sortes de dérives. La tricherie scolaire peut être une porte d’entrée vers le mensonge, le vol, le détournement, etc.
À partir de quel âge ou niveau scolaire observe-t-on cette banalisation de la tricherie, et pourquoi ?
Une étude rigoureuse pourrait permettre de mieux identifier ces éléments. Mais comme certaines causes sont externes à l’école, il serait réducteur de se focaliser uniquement sur l’âge ou le niveau scolaire.
Toutefois, on observe une recrudescence et une persistance de la tricherie lors des examens du BFEM et du BAC ces dix dernières années, avec l’aide des téléphones portables et des réseaux sociaux.
Mais au-delà de l’âge et du niveau, ce phénomène est en train de ternir l’image de notre école, qui a pourtant formé l’élite de ce pays, bien avant l’indépendance et jusqu’à nos jours.
Que recommandez-vous aux enseignants, aux parents et aux encadreurs pour prévenir ce type de comportement ?
J’ai déjà anticipé certains éléments de réponse à travers les questions précédentes, mais je dirai ceci :Auxenseignants, je recommande un engagement sincère, une générosité dans l’effort, et de l’empathie envers les élèves.
Aux parents, un encadrement rigoureux, un suivi permanent à la maison, et surtout de la bienveillance. Ils doivent s’impliquer davantage dans le parcours scolaire de leurs enfants, non pas en se limitant à financer leurs besoins, mais en leur accordant du temps et de l’écoute. La présence parentale, quantitative mais surtout qualitative, peut renforcer la confiance en soi des enfants et améliorer leurs résultats scolaires.
Au personnel administratif et académique, je recommande de sécuriser rigoureusement le processus des épreuves, depuis leur conception jusqu’à leur administration. Il faut également appliquer des sanctions disciplinaires contre les tricheurs et leurs complices. En somme, il faut sanctionner les coupables, quels qu’ils soient, et quoi qu’ils fassent. Des sanctions exemplaires pourraient dissuader les futurs candidats à la tricherie.
Face à la multiplication des cas de tricherie, pensez-vous que le système éducatif devrait intégrer un accompagnement psychologique régulier pour les élèves, ou changer d’approche pédagogique ?
Même indépendamment de la tricherie, le système éducatif sénégalais, en général, et les élèves, en particulier, ont besoin d’un accompagnement psychologique. La réussite scolaire ne dépend pas uniquement des performances, des évaluations ou des examens. Elle est aussi liée au cadre de vie, aux relations interpersonnelles, à un climat de sécurité et de sérénité, à l’épanouissement personnel et collectif.
Or, trop souvent, l’école devient un lieu de conflit, de harcèlement, de stigmatisation, de jugements subjectifs, d’incompréhension, de blessures émotionnelles et d’inadaptation. Tous ces facteurs peuvent engendrer du découragement ou un abandon scolaire.
C’est pourquoi les autorités éducatives gagneraient à renforcer les dispositifs de prise en charge psychosociale déjà existants dans le moyen-secondaire, et à généraliser dans toutes les universités publiques des bureaux d’accueil, d’orientation, de conseil et d’accompagnement. Quant à un changement d’approche ou de système éducatif, il ne peut se faire dans la précipitation. Cela nécessite de larges concertations et des réformes à introduire progressivement dans le temps, afin d’assurer leur efficacité.
Je voudrais rappeler, pour conclure, que la tricherie est une contre-valeur qui ne doit pas prospérer dans notre système éducatif et de formation, où seuls la discipline, le travail, le mérite et l’effort doivent être encouragés et récompensés.
Daouda Diouf