Ils sont parfois de la même génération et sont appelés à passer presque la majorité de leur temps dans un même espace, une même pièce, pour la transmission ou la recherche de connaissances. Et, au-delà de sa mission principale, l’école fait naître des relations amoureuses entre les élèves et les professeurs. Toutefois, pour éviter toute idylle avec les apprenants, certains professeurs se calfeutrent.
Les rapports entre élèves et enseignants, dans l’idéal, se résument à un échange intellectuel et parfois social en cas de besoin. Si dans les écoles le mot d’ordre est la quête et le don du savoir, les relations entre les deux protagonistes peuvent changer de terrain et aller au-delà de la pédagogie qu’on lui connait. « Quand on fait la formation pour devenir professeur, c’est la première remarque que font nos instituteurs. Ils nous conseillent de faire très attention avec les élèves filles dans les collèges et lycées», confie I. Sané, professeur de Mathématiques dans le département de Bignona.
La trentaine et ayant capitalisé plus de 10 ans d’expérience dans l’enseignement, M. Sané, avoue que ce n’est pas facile d’enseigner à des élèves, surtout à des filles, de sa génération. « Mais cela fait partie de la pédagogie. Dès les premiers jours de prise de contact, il faut mettre les choses au clair. Il faut leur faire comprendre qu’il y a quelque chose qui nous lie à l’école. C’est l’acquisition et la transmission du savoir », poursuit notre interlocuteur qui se veut ferme sur la question.
D’après lui, les interactions entre élèves et professeurs doivent « être et rester» dans le cadre des enseignements et de l’apprentissage. Donc, pour M. Sané, si l’élève met cela dans la tête, elle aura « un peu peur d’évoquer » avec le professeur des questions en dehors des cours. Suivant les conseils du Principale du premier collègue où il a été affecté, ce jeune professeur de Mathématiques, est sur ses gardes.
«Pour éviter une certaine affinité avec les élèves, je refuse même d’encadrer les élèves à la maison. Je ne fais pas de cours à domicile pour les filles. Je suis sollicité par les élèves, surtout durant mes premières années d’enseignement. Mais je refuse », révèle-t-il. Très radical sur cette question, M. Sané oriente les filles qui veulent suivre des cours particuliers ou à domicile vers d’autres collègues. Il se concentre uniquement sur ses cours. Toutes ces stratégies, signale-t-il, font partie de ses principes pour “échapper à toute tentation qui pourrait faire naître une flamme entre ses élèves et lui”.
Ne pas lever le coin du voile
A l’instar d’I. Sané, J. Diène se cloître au-delà de sa mission principale de transmission de savoir. «J’ai certes une affinité avec mes élèves, mais je dresse des limites. Elles savent ce que j’aime, ce que je n’aime pas. Elles savent où se limitent nos relations. Car je suis dans une école de filles. De toute façon, j’ai fait en sorte que la relation se limite à l’école. Hormis l’école, je n’ai pas de contact avec les élèves », renchérit ce jeune professeur de Sciences de la vie et de la terre (SVT).
Pas d’appel téléphonique, ni aucune autre forme de communication. Cela permet, selon M. Diène, de ne pas lever le mythe. Car il trouve qu’il doit y avoir un mythe entre l’élève et le professeur. « En dehors de l’école, les élèves ignorent ce que je suis. Elles ne me voient qu’à l’école. Le professeur est considéré comme le parent de l’élève. C’est un éducateur. Donc, en tant qu’éducateur, il y a des limites à ne pas franchir avec son élève. Il faut donner le bon exemple, être un modèle. Pour cela, il faut dresser des barrières entre le professeur et l’élève pour éviter tout débordement », ajoute M. Diène qui enseigne dans un lycée catholique à Thiès.
En réalité, note un autre professeur sous couvert de l’anonymat, l’idéal serait que l’élève n’ait pas peur du professeur. Car il estime que si l’apprenant a peur du professeur, il y aura également des limites par rapport à la matière. Car c’est l’affection qu’on a pour le professeur qu’on porte à la matière. Si on aime le professeur, souvent on est intéressé par la matière. « Donc, le professeur doit tout faire pour être attirant par rapport à sa personne pour que sa matière intéresse les élèves. Mais, il doit également tout faire pour que l’élève ne confonde pas l’attirance créée par le professeur pour intéresser l’élève à sa matière par rapport à autre chose », explique-t-il.
À la question de savoir si, au-delà de la relation pédagogique et parentale, des liens extra-scolaires se développent entre élèves et enseignants, la Principale du Collège d’enseignement moyen (Cem) Kennedy, Aminata Sarr est catégorique dans sa réponse. La Cheffe de cet établissement qui n’abrite que des filles soutient que, dans son collège, « les filles sont très jeunes. Elles sont âgées de 11 à 15 ans, voire 16, et donc elles sont non seulement sensibilisées à leurs rapports avec les hommes, mais, de l’autre côté, les enseignants sont aguerris et conscients de leur mission envers elles».
Des textes établis pour encadrer les relations à l’école
Il est certes impossible d’interdire à un cœur de s’envoler, dans l’ordre naturel des choses. Mais, à l’école, notamment dans certains établissements, les responsables pédagogiques, dans leur droit de protection des apprenants, mettent des garde-fous. Dans le lycée catholique où il donne des cours, J. Diène nous renseigne par ailleurs, qu’il y a un règlement intérieur qui encadre ces relations. « Déjà, le professeur n’a pas le droit d’avoir une relation d’ordre amoureux ou autre avec une élève. Il n’a pas le droit d’avoir une relation commerciale avec les élèves. On n’a pas le droit de vendre ou d’acheter des produits à un élève. Et aussi, il est interdit d’avoir des relations pécuniaires entre les deux parties», précise-t-il.
Selon lui, le professeur n’a pas le droit de donner de l’argent à l’élève. Parce que cela pourrait être mal perçu par l’élève ou, pour l’enseignant, cela peut être une manière de soudoyer l’apprenant. Et c’est interdit et notifié dans le règlement intérieur. En-delà du règlement intérieur de l’établissement, M. Diène ajoute aussi qu’il y a la loi. Il y a des sanctions qui sont réservées au professeur et elles sont d’autant plus sévères pour le professeur que pour l’élève.
Pour les mineures, la loi les protège “très bien”
Par rapport à cette loi, elle s’exerce à deux niveaux. D’abord pour les élèves majeures et celles mineures. Pour les mineures, la loi les protège très bien. «Et s’il s’agit d’une personne comme l’enseignant qui a une autorité sur l’enfant, la peine sera encore plus corsée. » Pour les élèves qui ont plus de 18 ans, il y a une loi qui dit que l’enseignant n’a pas le droit d’entretenir des relations d’ordre sexuel avec l’élève qui a moins de 21 ans, si c’est son élève. Maintenant, si c’est le mariage, ce sont les parents qui ont consenti. Donc, du point de vue légal, c’est ce qui est prévu », notifie M. Diène.
Sur ce point, la Principale du Cem Kennedy se dit rassurée du bon fonctionnement de son établissement dont les règles de conduite sont consignées dans le règlement intérieur en vigueur. Cependant, dans ledit texte, aucune allusion n’est faite sur le rapport entre élèves et enseignants. Mais une prévention est faite sur le port vestimentaire des élèves et les sanctions prévues pour les récalcitrantes : «Les élèves ont l’obligation de porter l’uniforme de l’école. Les coiffures extravagantes, les longues mèches, les poses d’ongles, les bijoux excentriques, les maquillages… sont proscrits. Toute élève qui se présente à l’école sans le respect de ces recommandations sera exclue pour toute la journée de l’école» note-t-on en son article 9.
Mariama DIEME et Boubacar FAYE (stagiaire)