Je reprends à mon compte Stéphane HESSEL, célèbre à travers son livre « Indignez-vous » pour traduire mon ressentiment par rapport à la trajectoire actuelle de l’école sénégalaise. Je
prend ma plume pour m’exprimer sur des situations vécues dans l’espoir que mon cri de désespoir sera entendu. Chaque rentrée scolaire me laisse le même goût amer. Partout autour de moi, je vois des pères de famille soucieux, des mères inquiètes, des parents épuisés par le coût de la scolarisation.
Beaucoup me sollicitent, espérant un appui, un mot d’encouragement, une aide pour inscrire leurs enfants. Leurs visages racontent la même histoire : celle d’une génération de parents qui
veulent offrir à leurs enfants les chances qu’eux-mêmes ont eues, mais qui n’en ont plus les moyens.
Je les comprends d’autant mieux que je suis, moi aussi, un enfant de l’école publique sénégalaise. C’est dans ses salles de classe, parfois sans fenêtres mais pleines d’espoir, que j’ai appris à rêver. C’est elle qui m’a donné les clés du savoir et la fierté de servir mon pays. L’école publique fut notre ascenseur social, notre creuset national, le lieu où l’on apprenait que la réussite ne dépendait pas du statut des parents, mais du travail et du mérite.
L’école Publique m’a appris les valeurs de la citoyenneté et surtout l’humilité. Je suis nostalgique de ces cours d’éducation civique avec ces belles leçons de morale qui ont largement contribué à forger ma personnalité. De l’Ecole Artillerie de Louga, à l’ex Ecole1 de Dagana, du CEM Alpha MAYORO WELLE de Dagana au Lycée Malick SALL de Louga, je me rappelle de mes camarades de classes qui balayaient à tour de rôle les salles. Je me rappelle de l’élève que j’étais et qui ramenait les cahiers de devoir et de composition à la maison de ma maitresse.
Je me rappelle du bonheur immense qui nous remplissaient à chaque rentrée des classes, lorsque nous nettoyions notre école des mauvaises herbes pour nous permettre de reprendre les cours dans les meilleures conditions. Je ne crois pas que nos enfants ont acquis ce sens du sacrifice pour l’école.
L’école de la République se meurt. Aujourd’hui, cette école qui a produit des générations de citoyens éclairés agonise dans l’indifférence. Là où régnait la mixité sociale, on voit désormais
une fracture béante : d’un côté, les établissements privés, qui prospèrent et sélectionnent par l’argent ; de l’autre, une école publique appauvrie, laissée pour compte, souvent perçue comme un dernier recours. Les familles modestes, jadis confiantes, se sentent trahies. Les enseignants, pilier du système, sont démoralisés. Après le doctorat, je me suis essayé à l’enseignement universitaire mais j’ai fini par démissionner parce qu’entre mes rêves et la réalité, le fossé était abyssal. Les classes débordent, les bâtiments tombent en ruine, les manuels manquent, et l’espoir s’étiole.
L’éducation, qui fut un droit universel, devient un luxe réservé à ceux qui peuvent payer. Et c’est tout le pacte républicain qui s’effondre lorsque je regarde les dépenses pour offrir à mes enfants, mes neveux, mes nièces la chance de faire des études.
Ce constat n’est pas qu’un cri du cœur. C’est un appel à la conscience nationale. Car un pays qui renonce à son école publique renonce à son avenir. Il prépare une société fracturée, où la
pauvreté se transmettra d’une génération à l’autre. Et il trahit la promesse faite à ses enfants : celle d’une République juste et solidaire. Mais il est encore temps d’agir, de redonner à l’école publique sa dignité, sa qualité, sa mission.
De revaloriser le métier d’enseignant, de restaurer la confiance des familles, de réinvestir massivement dans les infrastructures et les programmes. L’éducation n’est pas une dépense. C’est le socle même du développement et de la souveraineté nationale.
Messieurs les autorités. Je suis sûr que beaucoup parmi sont des produits de cette école publique que nous célébrons et que nous pleurons. C’est elle qui vous a portés, formés, hissés jusqu’aux plus hautes fonctions de la République. Vous incarnez la preuve vivante que l’école publique peut transformer des destins individuels et collectifs. C’est pourquoi je vous invite, avec respect mais insistance, à faire de l’éducation publique la priorité nationale absolue. À ouvrir un chantier d’espoir, à refonder ce système sur l’équité, la qualité et la dignité. Vous avez la légitimité, la vision et la responsabilité historique pour cela. Car réhabiliter l’école publique, c’est réaffirmer le rêve sénégalais : celui d’un pays où chaque enfant, quelle que soit son origine, peut apprendre, grandir et réussir.
Je le dis avec la gravité d’un homme reconnaissant : je dois tout à l’école publique. Elle m’a offert la liberté par le savoir, la dignité par l’effort, la fierté de servir. Aujourd’hui, c’est à nous tous de la défendre. Rendre hommage à l’école publique, c’est honorer la République. Et c’est refuser qu’elle devienne le privilège d’une minorité.
Car le Sénégal ne se construira pas sur les ruines de son école. Mais il peut renaître à travers elle.
Par Dr Mbaye DIENG, Citoyen sénégalais.