Le président de la Coalition nationale éducation pour tous (Cnept), Silèye Gorbal Sy, tire un bilan mitigé du déroulement de l’année scolaire 2025. Dans cet entretien avec « Le Soleil », M. Sy évoque notamment la tricherie aux examens ainsi que d’autres phénomènes qui, selon lui, traduisent un dysfonctionnement global, qui dépasse le simple cadre des évaluations scolaires.
On vient de boucler l’année scolaire 2025. Quel bilan tirez-vous de son déroulement ?
L’année scolaire 2025 s’est déroulée dans un contexte porteur d’espoir et marqué par des défis persistants. D’un côté, nous saluons la stabilité du calendrier scolaire, ainsi que les efforts de dialogue entre les différents acteurs (syndicats, parents, État) pour éviter des perturbations majeures. De l’autre, des difficultés structurelles demeurent. On peut citer notamment la surcharge dans les classes, les disparités régionales, et le sous-financement chronique de certaines filières comme l’éducation de base et l’alphabétisation. Le bilan est donc contrasté et appelle à des réformes systémiques à la hauteur des enjeux.
Permettez-moi de saluer les efforts consentis par les membres de notre structure durant l’année scolaire comme notre point focal de Ziguinchor qui fait un excellent travail concernant l’intelligence artificielle. En sa qualité de techno-pédagogue, il a eu à former des acteurs de l’éducation dans différentes régions du pays et avec des résultats très satisfaisants. La Cnept compte capitaliser ces bonnes pratiques en les partageant pour inciter les acteurs de l’éducation à faire plus et mieux durant la rentrée prochaine en termes de résultats scolaires. Notre structure est très active aussi dans le comité directeur du dialogue social, secteur de l’éducation dont elle est membre.
Cette année, les examens scolaires ont été émaillés de tricheries et de fraudes, notamment au Bfem. Comment appréhendez-vous ce phénomène ?
La multiplication des cas de tricherie, notamment au Brevet de fin d’études moyennes (Bfem), est un signal. Ce phénomène traduit un dysfonctionnement global, qui dépasse le simple cadre des examens. Il met en cause la chaîne de valeurs éducatives, la pression sociale excessive autour des diplômes, et l’absence d’un véritable accompagnement éthique dans les établissements. Il est urgent de réformer en profondeur notre système d’évaluation. Il faut aller vers des modes d’évaluation plus continus, plus transparents, et intégrant les compétences réelles, pas seulement la capacité à restituer un savoir académique. Il est aussi temps d’investir dans la formation des encadreurs et le contrôle rigoureux des procédures.
Depuis l’avènement du nouveau régime, on parle de plus en plus de la refondation du système éducatif. Comment cela doit se traduire et quels seront les axes à explorer ?
La refondation du système éducatif ne doit pas être un slogan, mais une vision structurante, inclusive et durable. Elle doit s’appuyer sur quatre axes principaux : la gouvernance participative avec une implication réelle des acteurs et de la société civile ; la réforme des programmes pour les adapter aux réalités locales, aux défis technologiques et au développement durable ; l’équité territoriale et sociale afin de garantir une éducation de qualité à tous les enfants, quel que soit leur milieu. Refonder l’école, c’est en faire aussi un moteur de transformation sociale, économique et culturelle. À cet effet, nous apprécions la démarche inclusive des autorités étatiques dans la réforme des curricula. Et pour cela, il faut noter que la contribution de la Cnept est significative aux côtés de l’Inspection générale de l’éducation et de la formation (Igef) qui demeure la maîtresse d’œuvre de cette importante activité.
La nouvelle initiative pour la transformation humaniste de l’éducation est un programme stratégique porté par le ministère. Pensez-vous que c’est la voie indiquée pour bâtir une école plus ancrée dans nos valeurs et nos besoins de développement ?
Oui, cette initiative va dans la bonne direction, à condition qu’elle soit portée par une volonté politique forte, accompagnée de moyens financiers et humains. Une transformation véritablement humaniste doit replacer l’élève au cœur du système, non pas comme simple bénéficiaire, mais comme un acteur de son apprentissage. Elle doit aussi intégrer nos valeurs culturelles, nos langues nationales, et notre patrimoine éducatif communautaire. Le défi sera de traduire cette vision stratégique en actions concrètes, avec des indicateurs de suivi bien clairs.
Vous semblez tenir à cœur l’alphabétisation, jugée comme étant un parent pauvre du système. Quelle analyse faites-vous de ce sous-secteur et comment faire pour qu’il puisse jouer véritablement son rôle dans le système ?
Effectivement, l’alphabétisation reste marginalisée, alors qu’elle est la clé de l’inclusion, de la citoyenneté active et de la lutte contre la pauvreté. Le manque de financement, de structuration et de reconnaissance institutionnelle freine son développement. Pourtant, une population adulte alphabétisée est un levier puissant pour l’économie locale, la santé communautaire et la cohésion sociale. Il faut faire de l’alphabétisation une priorité nationale. Valoriser les langues nationales comme outils d’apprentissage est une nécessité.
Le Chef de l’État, dès son arrivée au pouvoir, a insisté sur la nécessité d’accélérer les efforts pour l’atteinte de certains objectifs de l’Odd4. Quels sont, selon vous, les défis à relever pour atteindre cet objectif, conformément à l’Agenda 2050 du gouvernement ?
Les objectifs de développement durable visent une éducation inclusive, équitable et de qualité pour tous. Pour les atteindre et conformément à l’Agenda 2050, les défis sont nombreux. On peut citer notamment la résorption des inégalités concernant l’accès dans les zones rurales ou défavorisées. On doit renforcer aussi les efforts en termes de qualité par la formation continue des enseignants et l’adaptation des contenus, mais aussi maîtriser davantage les budgets au niveau déconcentré comme au niveau central (20 à 25 % du budget national) conformément aux engagements internationaux. On doit miser davantage sur la digitalisation. Je pense qu’il faut une mobilisation nationale autour de l’éducation. En faire un bien commun, avec une reddition des comptes rigoureuse et transparente.
Entretien réalisé par Seydou Prosper SADIO