Alors que les autorités redoublent d’efforts pour préserver la crédibilité des examens nationaux, les cas de fraude se multiplient, parfois avec une audace déconcertante. Des compositions en classe au Brevet de fin d’études moyennes (Bfem), l’année scolaire 2025 a été marquée par plusieurs cas de fraudes et de tricheries. Diagnostic d’un phénomène devenu de plus en plus sophistiqué.
Le phénomène de la triche aux examens nationaux continue de hanter l’école sénégalaise, malgré une batterie de mesures prises par le ministère de l’Éducation nationale. Que ce soit au Brevet de fin d’études moyennes (Bfem) tout comme lors des compostions scolaires dans certains établissements, les méthodes évoluent, les profils changent, mais le constat reste le même : les candidats fraudeurs ne reculent devant rien. Certains cas ont retenu l’attention ces six dernières années.
Le 13 juillet 2025, la ville de Louga a été secouée par une affaire de triche d’une ampleur inédite lors des épreuves du Brevet de fin d’études moyennes (Bfem). Une candidate, désignée comme le cerveau du réseau, a été interpellée au collège Modou Awa Balla Mbacké. Elle avait mis en place un groupe WhatsApp où 18 autres candidats échangeaient des corrections d’épreuves pendant l’examen. Ces cas les plus rocambolesques Grâce à une surveillance renforcée, l’administration a rapidement mis la main sur l’ensemble des fraudeurs, qui ont tous été exclus.
Le même procédé a été constaté à Mbour où des candidats se sont partagé des corrigés via WhatsApp. Lors de la session 2025 du Bfem, d’autres cas ont été signalés à Mbour, à Louga tout comme dans la banlieue dakaroise. À Pikine et Guédiawaye, des téléphones portables ont été retrouvés dans les toilettes ou dissimulés dans les vêtements. Le ministère de l’Éducation nationale a publié un communiqué dans la foulée pour dénoncer « des actes graves qui portent atteinte à la crédibilité du système éducatif » et rappeler l’interdiction stricte de tout appareil électronique en salle d’examen.
A Louga, 18 candidats ont même fait l’objet d’une arrestation à la Police. Ces cas de tricherie encore fraîches dans les mémoires se greffent à d’autres plus sordides. L’un des cas les plus rocambolesques reste celui survenu à Diourbel en juillet 2021. Un jeune homme s’était présenté aux épreuves du baccalauréat déguisé en femme, maquillé, habillé d’un boubou, avec foulard et soutien-gorge, dans le but de composer à la place de sa copine. L’imposture a été démasquée par les surveillants qui ont été intrigués par son attitude hésitante. L’individu a été arrêté, jugé, puis condamné pour fraude aux examens et usurpation d’identité. Lors du Bfem 2023 à Kolda, plusieurs candidats ont été surpris en possession de leurs téléphones dissimulés dans des sachets plastiques. Ils sortaient pour des besoins dans les toilettes ou profitaient des pauses pour consulter des corrigés ou réponses via des applications de messagerie cryptée.
L’affaire avait mis en lumière la créativité des fraudeurs, désormais capables de contourner les contrôles les plus rigoureux. En juillet 2024, un candidat à Mbacké a été exclu après avoir partagé l’épreuve de Svt dans un groupe WhatsApp de 17 personnes. Le surveillant l’a surpris en flagrant délit, et il a reconnu avoir violé l’interdiction de détenir un téléphone en salle d’examen. Le président du jury avait appliqué une exclusion immédiate. A Kaolack, des enseignants complices dans un réseau de triche En 2022, à Kaolack, un réseau composé d’élèves et de surveillants a été démantelé au lycée Valdiodio Ndiaye. Les surveillants, payés à l’avance, laissaient entrer des antisèches, parfois même en dictant discrètement des réponses. Ici également, les élèves impliqués ont été renvoyés.
L’année 2022 a été marquée aussi par une fuite massive de sujets du Bac via Facebook et Messenger. Le sujet de philosophie, notamment s’est retrouvé en ligne quelques heures après le début de l’épreuve. Une enquête administrative interne a révélé que la fuite provenait d’un agent du centre d’impression des épreuves. Cette affaire a provoqué l’indignation de plusieurs syndicats d’enseignants qui ont réclamé la digitalisation complète et sécurisée de la chaîne de production des épreuves. Durant l’année 2020, en pleine crise du Covid-19, le Bac avait été entaché par une fuite massive de sujets partagés sur Telegram et Facebook. Des corrections circulaient avant même l’heure du début des épreuves. L’Office du baccalauréat avait alors été contraint de reprogrammer certaines épreuves dans des régions comme Thiès et Fatick.
Plusieurs personnes, dont un agent de l’administration scolaire, avaient été arrêtées. Face à cette montée en puissance des tentatives de fraude, le ministère de l’Éducation nationale a adopté une série de mesures depuis 2021. On peut citer notamment l’interdiction absolue de tout appareil électronique dans les centres d’examen (téléphones, montres connectées, écouteurs, etc), fouilles systématiques à l’entrée des centres, exclusion immédiate et poursuites judiciaires pour tout candidat ou complice pris en flagrant délit. Un cadre légal peu adapté aux réalités actuelles
Contrairement à d’autres infractions bien codifiées, le Code pénal sénégalais ne contient aucune disposition spécifique criminalisant la fraude aux examens scolaires ou universitaires. Le texte de 1965, bien que révisé à plusieurs reprises, ne prévoit pas explicitement de peine pour ceux qui trichent aux examens officiels. Ce vide juridique pose problème, surtout à l’ère des smartphones, d’Internet et de l’intelligence artificielle. Pour les cas récents, les autorités judiciaires ont dû s’appuyer sur des articles généraux, notamment: L’article 236 du Code pénal qui réprime « la falsification de documents administratifs », pouvant être invoqué en cas de production ou usage de faux diplômes ou fausses convocations. L’article 140 qui porte sur « l’escroquerie», il est parfois utilisé lorsqu’un tiers compose à la place du véritable candidat.
En cas d’atteinte à la sécurité ou à l’ordre public, certaines affaires peuvent aussi être traitées au titre de la cybercriminalité, notamment si les fuites passent par les réseaux sociaux. Ces multiples cas révèlent un mal plus profond : une crise de valeurs dans une société de plus en plus compétitive, où la pression scolaire pousse certains à franchir les limites de l’éthique. Pour de nombreux spécialistes de l’éducation, seule une réforme en profondeur du système, appuyée sur l’exemplarité, l’équité et la rigueur, pourra freiner ce fléau. Plusieurs observateurs plaident pour un renforcement de la sensibilisation à l’éthique. Pour eux, la peur du gendarme ne suffit plus, il faut enseigner dès le collège que tricher, c’est se trahir soi-même.
Daouda DIOUF