Chaque année, dans cette partie du Sénégal, les éleveurs se lancent dans une longue transhumance à la recherche de pâturages et de points d’eau, alors que le dérèglement climatique et l’échec partiel de la Grande Muraille verte compliquent davantage leur survie. Entre traditions ancestrales, réalités économiques et tensions sur le terrain, reportage au cœur d’un territoire en mutation.
Perdu dans les fins du Sénégal, à près 400 km de Dakar, la commune de Téssékéré ressemble à un no mans land. Chaque année, à l’approche de la saison sèche, les vastes étendues arides de Widou Thiengoly, dans la région de Louga, deviennent le théâtre d’un mouvement séculaire : la transhumance. Des centaines d’éleveurs, accompagnés de leurs troupeaux de bovins, caprins et ovins, entament un long périple à la recherche de pâturages plus verts et de points d’eau. Ici, l’échec de la grande muraille verte a accentué le dérèglement climatique. « Le changement du climat fait que nous ne pouvons plus avoir un mois de pluie. Donc si l’herbe est introuvable, on fait recours à la transhumance pour nos moutons. L’année dernière, on est allés jusqu’au Fouta. On a fait mois là-bas six mois avant de revenir lors de la saison des pluies. Nous sommes des éleveurs. À Widou, on ne peut y rester pendant toute la saison sèche », explique Fatoumata Sow depuis sa charrette.
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Dans le silence des premières lueurs du jour, les troupeaux s’ébranlent, guidés par des bergers aguerris. À Widou, la transhumance n’est pas qu’un déplacement saisonnier, c’est une tradition ancrée, transmise de génération en génération. Ménagère dans le projet de la Grande muraille verte, Fatou Ngoura Ndiaye n’en demeure pas moins éleveuse. « J’ai payé 30 000 FCfa à des éleveurs pour qu’ils nourrissent mon cheptel de moutons ailleurs. Ils feront 3 mois là-bas », a-t-elle décliné. Le changement climatique bouleverse les équilibres traditionnels. Les pluies, de plus en plus rares et mal réparties, transforment les pâturages en zones stériles dès le mois de novembre. Les éleveurs doivent donc parcourir parfois des centaines de kilomètres vers le sud, dans le Ferlo ou jusqu’aux zones forestières du Saloum. « On ne peut pas avoir 100 à 300 bêtes et rester les bras croisés. La transhumance nous permet de les nourrir », insiste Amadou Ka, éleveur. Cependant, le périple est semé d’embûches : manque de points d’eau, vols de bétail, maladies animales, et parfois conflits avec les agriculteurs.
Aujourd’hui, ces déplacements de masse ont des répercussions socio-économiques. Widou est devenu presque un village fantôme qui cherche occupants. « La plupart des boutiquiers sont partis pour suivre les transhumants. Ils ont amené avec eux des élèves qui vont voir leur éducation scolaire perturbée », souligne Amadou Badji, chef de la base de Widou. Une autre pratique usée par les éleveurs, c’est celle de détruire les champs du projet de la Grande muraille verte pour nourrir le bétail. « Ils détruisent les grillages de clôture pour entrer dans les champs. Ce problème fait partie des difficultés que traverse le projet de la Grande muraille verte. Comme il n’y a pas suffisamment de surveillants, des hectares de plantations sont perdus à cause à de ces pratiques », déplore Yaya Sambou, chef de la base de Coely Alpha, situé à 50 km de Widou, dans la commune de Mboula.
D’après la Fao, 22% des terres de la GMV sont arables alors que le tapis herbacé, généralement servant de pâturages, est de 45%. Cependant, ce tapis disparaît après la saison des pluies suite au broutement des animaux et aux feux de brousse. D’après l’agence onusienne, le quart de ces terres est constitué de montagnes et d’espaces non exploitables, là où les zones de forêts n’en occupent que 6%.
Babacar Guèye DIOP