Le directeur général des Eaux et Forêts, le colonel-major Babacar Dione revient dans cet entretien sur la coupe de bois en Casamance. Il indique que ses agents ont joué un rôle déterminant pour contrer les coupeurs de bois. Mieux, grâce aux efforts de reboisement, de surveillance et aux programmes communautaires, certaines zones connaissent aujourd’hui « une régénération naturelle encourageante ».
Quel est l’état des lieux de la zone de Médina Yoro Foulah et de Bissine ?
La forêt de Bissine, jadis riche en essences précieuses telles que le bois de Venn (Pterocarpus erinaceus), Caïlcédrat (Khaya senegalensis) Linké (Afzelia africana) et le teck (Tectona grandis), subissent depuis plusieurs décennies une forte pression anthropique. Une grande partie de cette forêt était jadis occupée par des groupes armés qui tiraient de l’exploitation illégale les moyens de leur survie, mais surtout de leur économie de guerre. Les agents du service forestier manquaient de moyens matériels, logistiques et humains pour faire face à ces groupes.
L’essentiel des essences citées ci-dessus étaient coupées. Cependant avec le retour des populations et la sécurisation de la zone grâce à l’armée, le service forestier a repris ses activités avec l’installation d’un triage forestier et une pépinière afin d’accompagner la restauration du couvert végétal perdu. Cela dit, le service forestier, en collaboration avec les populations de retour, travaillent à restaurer la forêt de Bissine. Pour la zone de médina Yoro Foulah, il faut comprendre que c’est un département frontalier à la Gambie. Jadis avant l’inscription du Venn (Pterocarpus erinaceus), du Linké (Afzelia africana) et caïlcédrat (Khaya senegalensi) à l’annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites), le trafic du bois à destination des pays asiatiques avait impacté lourdement les formations forestières du département.
Il y a une frontière longue d’environ 220 Kilomètres où toutes les portions sont des entrées sorties entre les deux pays. Les effectifs des agents forestiers de même que les moyens à leur disposition n’étaient pas à la hauteur de ceux dont disposaient les trafiquants. Aujourd’hui, ce trafic a fortement baissé d’intensité avec l’interdiction d’exportation de bois de la Gambie en Asie par la convention Cites. Cependant les coupes continuent à petit échelle pour alimenter les deux marchés intérieurs des deux pays, Kolda étant une ville artisanale ; où l’essentiel des jeunes s’activent dans la menuiserie bois. Un autre facteur de destruction des massifs forestiers du département reste l’avancée du front agricole. En effet, Médina Yoro Foulah est devenu le grenier de la région de Kolda. Il y a énormément de migrants environnementaux qui viennent principalement du Sine Saloum, créent des villages et étendent des champs de culture assez vastes. La perte de forêts au profit de terres agricoles se justifie surtout par ce phénomène. En plus de ces deux facteurs de destruction des massifs forestiers, il faut noter le fléau des feux de brousse, qui après plusieurs passages détruisent même les sols. Et cela est valable dans presque tout le pays y compris Bissine. Le service forestier est aujourd’hui relativement renforcé dans le département et mène des séances de sensibilisation, essaie de traquer les délinquants. Ce qui justifie la saisie par moment de beaucoup de bois et de matériel d’exploitation ou de transport.
Quelles sont les superficies perdues et qu’est-ce qui reste actuellement ?
Les données récentes montrent qu’entre 2010 et 2020, plusieurs hectares ont été détruits dans ces forêts. A Bissine, environ 30% de la superficie originelle ont été dégradées. Il reste toutefois des parties protégées, particulièrement dans les zones sous surveillance renforcée. Pour le département de Médina Yoro Foulah, il faut noter que les superficies perdues sont des champs ou villages nouvellement créés. Il doit falloir une analyse comparative temporelle avec des photos satellite. Sans cela, seule un avis d’expert pourrait estimer la superficie perdue. Cependant, il faut noter la perte de superficies dans la forêt de Pata.
Quelles sont alors les conséquences de cette vaste déforestation ?
Les conséquences sont d’abord écologiques. C’est-à-dire, la perte de biodiversité, disparition d’espèces animales et végétales, dégradation des sols. La valeur économique de ces forêts fortement en baisse. En effet les arbres élites ont presque disparu, laissant la forêt sans grande valeur. Ensuite, il y a celles climatiques qui entrainent la perturbation du cycle de l’eau, contribution au changement climatique local. Enfin, il y a les conséquences socio-économiques que sont, l’appauvrissement des communautés locales dépendantes de la forêt, conflits liés à l’accès aux ressources, à la terre agricole.
Mon colonel, quel est l’impact de la mobilisation de vos agents dans la zone face aux délinquants ?
Nos agents assurent la surveillance quotidienne des massifs forestiers, l’arrestation des trafiquants et la saisie du bois illégal, la sensibilisation des populations riveraines sur les méfaits des coupes abusives, des feux de brousse et du reboisement. Il y a la mise en œuvre et le suivi des programmes de reboisement. La lutte contre les feux de brousse sur toutes les formes (passive comme active). Ils travaillent souvent dans des conditions difficiles, face à des réseaux organisés et armés.
Avez-vous les moyens de lutter contre ces trafiquants ?
Les moyens (humain, matériel,…) actuels restent limités par rapport à l’ampleur du problème. Toutefois, grâce aux partenariats avec les forces de défense et de sécurité, aux financements de projets environnementaux et à l’appui des Ong, des progrès notables sont réalisés. Il est crucial de renforcer encore les effectifs, les équipements (véhicules, drones, systèmes de surveillance) et les ressources financières.
Certains Sénégalais évoquent très souvent une complicité de vos agents avec les trafiquants. Qu’en est-il ?
Ces accusations sont prises très au sérieux. À chaque fois, des enquêtes internes sont menées et, lorsque des agents sont impliqués, ce qui est rarement arrivé, des sanctions exemplaires sont appliquées. La majorité de nos agents reste intègre et engagée. C’est pourquoi, Il me paraît injuste que l’action d’une minorité vienne ternir l’image d’un corps qui se sacrifie beaucoup pour protéger nos ressources naturelles.
À la forêt de Bissine en 2011, des rebelles ont été accusés d’avoir abattu 10 jeunes du village de Diagnon venus couper des arbres. On parle d’une vaste mafia dans cette exploitation de bois. Qu’en est-il ?
Le massacre de Boffa-Bayotte en 2018 et d’autres incidents antérieurs comme celui de Bissine illustrent la dangerosité des réseaux mafieux impliqués dans l’exploitation illégale. Ces groupes armés profitent de l’instabilité pour contrôler certaines ressources et imposer leur loi. Le Service des Eaux et Forêts, en collaboration avec les forces armées, continue de sécuriser ces zones et de démantèlent ces réseaux criminels. Des avancées ont été enregistrées, mais la vigilance reste de mise. Il a considérablement réduit la densité des peuplements forestiers. Cependant, grâce aux efforts de reboisement, de surveillance et aux programmes communautaires, certaines zones connaissent aujourd’hui une régénération naturelle encourageante.
Samba DIAMANKA