La 30ᵉ Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP30), qui se tiendra du 10 au 21 novembre 2025 à Belém, aux portes de l’Amazonie, s’annonce comme une échéance stratégique majeure pour la gouvernance environnementale mondiale. Dix ans après l’adoption de l’Accord de Paris, la communauté internationale se trouve à la croisée des chemins : le temps du bilan se confond désormais avec l’urgence d’agir.
L’ambition formulée à Paris — contenir le réchauffement climatique en deçà de +1,5 °C — semble aujourd’hui vaciller sous le poids des contradictions. Les engagements nationaux demeurent inégaux, les contributions déterminées au niveau national (CDN) peinent à se traduire en politiques effectives, et la trajectoire collective du monde reste largement incompatible avec les objectifs initiaux. Dans ce contexte d’inertie et de désillusion climatique, la COP30 ne saurait se réduire à un rituel diplomatique de plus : elle doit être celle de la lucidité, de la redevabilité et de la cohérence entre la parole et l’action.
Le choix de Belém, au seuil de l’Amazonie, revêt une charge symbolique puissante. Il rappelle que le combat contre le dérèglement climatique dépasse la technicité des négociations et les abstractions statistiques : il engage la survie d’écosystèmes vitaux, de cultures ancestrales et de peuples entiers. Par cette localisation, les Nations Unies réaffirment un principe cardinal : la justice climatique n’est pas une option morale, mais un impératif politique et civilisationnel.
Pour l’Afrique, cette conférence s’inscrit dans une perspective à la fois existentielle et stratégique. Continent faiblement émetteur, l’Afrique demeure paradoxalement l’un des espaces les plus exposés aux chocs climatiques — sécheresses prolongées, inondations destructrices, crises hydriques, insécurité alimentaire et déplacements massifs de populations. Ces vulnérabilités cumulées menacent les équilibres économiques, sociaux et politiques d’États déjà fragilisés par d’autres urgences.
L’Afrique n’en appelle pas à la compassion, mais à la justice. Elle attend que les promesses répétées des pays développés se traduisent enfin en transferts financiers concrets, équitables et prévisibles. La réforme de l’architecture mondiale du financement climatique s’impose dès lors comme une priorité absolue : il s’agit de garantir que les fonds d’adaptation et de compensation deviennent réellement accessibles, sans conditions paralysantes ni mécanismes de dette additionnelle.
Mais le défi ne se limite pas aux flux financiers. Il s’agit, plus fondamentalement, de redéfinir les termes d’une transition écologique juste et équitable. La réduction des émissions, notamment du méthane issu des activités agricoles, pastorales et extractives, ne saurait compromettre le droit au développement. L’Afrique défend une trajectoire de transition qui articule justice climatique et croissance inclusive : décarboner sans désindustrialiser, protéger sans appauvrir, innover sans exclure.
Dans cette optique, la transition verte ne doit pas être perçue comme une contrainte, mais comme un levier de transformation structurelle. Elle peut devenir une source d’opportunités économiques, d’emplois durables et de souveraineté énergétique. Par la valorisation des ressources locales, l’investissement dans les énergies renouvelables et la formation des jeunes aux métiers du climat, le continent peut inventer un modèle endogène de développement durable.
La tenue de la COP30 en Amazonie réaffirme par ailleurs le rôle central des forêts dans la régulation climatique mondiale. Ce message résonne avec force pour l’Afrique, qui abrite le deuxième plus grand massif forestier du monde : le bassin du Congo. À l’instar des communautés amazoniennes, les populations riveraines africaines doivent être reconnues comme des actrices à part entière de la préservation de la biodiversité — non de simples bénéficiaires, mais des gardiennes éclairées des écosystèmes.
Ainsi, l’Afrique aborde la COP30 avec une exigence claire : celle de la reconnaissance et de la responsabilité partagée. Le continent ne saurait se contenter d’un rôle périphérique. Il revendique une place légitime dans la gouvernance climatique mondiale et appelle à transformer la justice climatique en principe opérationnel, contraignant et mesurable.
L’agenda africain du climat s’inscrit dans une vision cohérente de développement : une transition intégrée aux politiques nationales, adossée à la souveraineté énergétique, à la sécurité alimentaire et à la stabilité sociale. Cette vision porte un impératif moral — celui de refuser que l’Afrique paie le prix d’un désordre climatique dont elle n’est pas la cause.
La COP30 sera, en définitive, un moment de vérité pour la communauté internationale. Si les nations industrialisées respectent leurs engagements et si les États africains engagent les réformes structurelles nécessaires, un nouveau pacte climatique devient possible — plus juste, plus équilibré et plus humain.
Forte de sa jeunesse, de sa créativité et de sa résilience, l’Afrique ne se conçoit plus comme une victime passive des désordres du monde, mais comme une force d’imagination et de proposition. À Belém, elle rappellera, avec la gravité de l’histoire et la clarté de la conviction, que le destin de la planète ne saurait se jouer sans elle.
Par Cheikh Niang
Ministre de l’Intégration africaine, des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur

