Absence de canalisation, quartiers totalement inaccessibles en voiture, une plage transformée en dépotoir d’ordures, des inondations chroniques pendant l’hivernage… Ce sont, entre autres, les maux qui rongent la population de la commune de Thiaroye-sur-Mer. Aujourd’hui, l’espoir de changer le visage de ce vieux village traditionnel lébou de Dakar, grâce au projet de dépollution de la baie de Hann, semble perdu. En effet, les travaux de ce projet sont exécutés à 70 %, sans que leur commune ne soit restructurée. Pourtant, des maisons ont déjà été marquées et un site de recasement a été alloué.
Située à l’entrée de la presqu’île du Cap-Vert, à l’est de Dakar, sur la route nationale, la commune de Thiaroye-sur-Mer a été créée en 1996 grâce au décret n° 96-745 du 30 avril 1996 relatif aux communes d’arrondissement de la région de Dakar. Village traditionnel lébou, elle fait partie des localités qui constituent la baie de Hann. Cependant la localité cache un visage peu reluisant, au-delà des bâtiments et des ruelles bien loties qui bordent la route nationale. En effet, derrière cette carte postale, le décor est tout autre et n’est pas sans rappeler celui des bidonvilles de certaines grandes agglomérations africaines. Des ruelles à peine d’un mètre de large, parfois moins, séparent les pâtés de maisons, dont la plupart sont en tôle. Certaines ruelles débouchent au beau milieu de la cour d’une maison, sans autre issue.
C’est un vrai labyrinthe. Il est impossible d’accéder à ces quartiers en voiture. « Ici, les maisons sont inaccessibles. J’ai un véhicule, mais à cause de l’étroitesse des ruelles, je le gare à l’autre bout de la rue pour venir travailler ici. Et comme je ne peux ni le voir ni le surveiller, la dernière fois, des enfants ont cassé le feu arrière. C’est vraiment compliqué. Nous espérons que les choses changent avec la restructuration. Que le visage de Thiaroye-sur-Mer change à jamais, pour le bonheur des populations », confie Gora Mbaye, tailleur résidant à Thiaroye-sur-Mer, plus précisément au quartier Mouda Niang, près de Printania. « Nous sommes souvent oubliés dans les projets de l’État ».
Natif de Thiaroye, Gora Mbaye estime que ce que les jeunes ont fait récemment n’est qu’une manifestation légitime de leur ras-le-bol, parce qu’ils se sentent « étouffés ». « Thiaroye-sur-Mer n’est même pas bien connue des Dakarois. Pourtant, c’est à Thiaroye que l’indépendance du Sénégal s’est négociée. Nous sommes des populations autochtones, mais nous ne comprenons pas pourquoi nous sommes toujours oubliés dans les projets de l’État. Je ne sais pas s’il s’agit d’une affaire politique ou non. On a l’impression qu’on veut nous rayer de la carte. Actuellement, à l’approche de l’hivernage, nous sommes tous inquiets et épuisés », dit-il d’un ton sec.
Rencontré dans son atelier, une petite pièce en tôle qu’il loue depuis 1989, notre interlocuteur souligne que chaque année, pendant l’hivernage, il reste au moins un mois sans travailler à cause des eaux de pluie. « Vous voyez le niveau de la porte ? Chaque année, je renforce l’entrée avec une brique. Regardez comme les carreaux du sol sont devenus noirs : l’eau ressort par le bas pendant l’hivernage. À l’extérieur, l’eau dépasse le trou que vous voyez sur le mur d’en face. » (Ndlr : entre le trou et le sol, il y a environ 60 cm.) « On utilise au moins quatre pompes pour évacuer les eaux de pluie des maisons vers la mer », décrit-il, le regard fixe. « Donc, la restructuration de Thiaroye est plus que normale », martèle-t-il.
Pour appuyer ses propos, ce tailleur d’une cinquantaine d’années nous emmène chez un ami avec qui il évacue les eaux de pluie pendant l’hivernage. Ce dernier, également tailleur de profession et habitant de l’autre côté du quartier, conserve précieusement les images de leurs supplices. « Lamine, est-ce que tu as encore, par devers toi, les photos de l’état du quartier pendant l’hivernage ? », lui demande-t-il. « De quelle année ? », répond Lamine. « Montre toutes celles que tu as », lui ordonne Gora. Lamine sort son téléphone, fait défiler quelques images avant de montrer des clichés retraçant la misère du quartier. « Voyez par vous-mêmes. Ce sont des images de 2010 à 2024. Je les ai toutes gardées et je les partage régulièrement sur ma page Facebook pour alerter les autorités », explique Lamine. Les femmes aussi tirent la sonnette d’alarme Sur les images de 2010, on les voit avec d’autres habitants du quartier, dont la plupart sont aujourd’hui en Espagne, en train de monter des pompes pour évacuer une eau qui leur arrive presque aux genoux.
En parcourant les images dix ans plus tard, on constate les mêmes scènes, seules les personnes changent. «Voilà ce que nous vivons depuis plus de quinze ans. Nous sommes dans la misère. Il n’y a pas d’emploi. Tous les jeunes sont à l’étranger. Seule la solidarité permet aux gens de survivre. Mais nous sommes fatigués», confie Lamine. Cette situation n’est pas dénoncée que par les hommes. Trouvée dans sa demeure, Mère Nogaye, octogénaire, assise sur une chaise en plastique dans une cour qui fait à peine 2 m², affirme que leur principal souci à Thiaroye, c’est le réseau de canalisation. « Ici, pendant l’hivernage, personne ne sort de chez lui à cause des eaux de pluie. La mer ne nourrit plus les pêcheurs. Tous nos enfants ont pris les pirogues pour partir à l’étranger. On n’a plus rien. On n’a plus de champs pour le maraîchage, plus rien du tout. On essaie de joindre les deux bouts au quotidien. Et les maisons qui sont proches de la mer sont inaccessibles. Les femmes sont obligées de déverser leurs ordures dans la mer, car elles ne voient même pas de camions de ramassage », explique-t-elle.
Pour soulager les populations, Gora Mbaye rappelle que l’ancien maire Ndiaga Niang avait fait installer une canalisation avec des tuyaux en Pvc. Mais cela n’a pas servi à grand-chose. L’actuel maire, El Mamadou Ndiaye, et son équipe ont mis en place une nouvelle l’année dernière, mais là aussi, cela n’a pas été d’une grande utilité. En plus, certains y vident leurs fosses septiques. «Personne ne peut imaginer combien nous souffrons ici, à Thiaroye, surtout durant l’hivernage. Sincèrement, seule la restructuration de Thiaroye peut nous sortir de ce calvaire», estime-t-il.
Mariama DIÉMÉ