À seulement quelques kilomètres de Toubacouta, les villages de Keur Alioune Guèye et de Sangako vivent au rythme de la forêt de Sangako, héritage ancestral et véritable poumon économique. Si elle offre ressources et biodiversité, elle pose aussi des défis majeurs du fait du manque d’infrastructures, de terres cultivables limitées et d’interactions avec la faune qui compliquent le quotidien des habitants.
Keur Alioune Guèye est situé à 7km de Toubacouta. Il faut loger une longue route latéritique sinueuse pour pouvoir accéder à ce village. Par moment, singes et varans se montrent comme pour nous souhaiter la bienvenue. Les babouins de Guinée en bande, jouent sur les lianes qui tissent les troncs des grands caïlcédrats qui bornent la forêt.
Dès qu’ils aperçoivent un véhicule, ils se dispersent aussitôt, courent de lianes en lianes, leurs petits au dos ou sous le ventre et disparaissent dans la verdure. Après quelques tumultueuses virées en voiture, le village se dévoile à nous. C’est un véritable appel à l’évasion. Ici, on est bien loin du vacarme de la ville. L’expression « forêt dense » de 6km2 n’est pas de trop pour décrire le village.
Les arbres y trônent fièrement procurant un bon bol d’air pur et frais. En cette matinée, il est difficile de croiser les hommes de ce patelin. Seules quelques femmes sont assises devant leurs habitats.
Véritable poumon économique pour les habitants
Ils sont tous dans la forêt, véritable poumon économique pour les habitants des villages environnants. Et le chef de village Aliou Guèye ne déroge pas à la règle. Il faudra patienter quelques minutes avant de pouvoir discuter avec le représentant de ce bourg.
« Notre activité principale est l’agriculture surtout durant cette période hivernale. Nous sommes tous dans les champs à cette heure. Il y a aussi l’élevage qui fait partie des activités », a fait savoir Aliou Gueye soulignant que cette forêt revêt une grande importance pour eux.
Ce dernier informe que certaines variétés ont été plantées par ses aïeuls. « Ce village a été fondé par mon grand-père Aliou Gueye en 1928. Il a quitté la Gambie, plus précisément le village de Gueyène Sandial, pour s’installer ici avec sa famille. A l’époque, la forêt n’était pas aussi dense.
Les arbres comme le khaye qui bornent la route ont été plantés par nos ancêtres. C’est pourquoi, ils sont bien alignés », explique-t-il. Aliou Gueye renseigne que c’est par la suite que les ONG qui s’activent dans la protection de l’environnement ont amené d’autres espèces pour sauver la forêt.
Potentiel à valoriser
La forêt n’est pas seulement riche du point de vue de la flore. « On y retrouve des singes, des rhinocéros, des dindes, des pintades, des lézards. Ils sont inoffensifs. Nous pouvons y circuler librement pour ramasser du bois mort pour la cuisine et aussi pour réparer nos palissades », a fait savoir Aliou Gueye.
Cependant le chef de village souligne que la coupe de bois est règlementée par les eaux et forêts. D’ailleurs ce dernier assure que leur vœu le plus cher est de préserver la forêt et de protéger les animaux qui y résident. « La forêt est magnifique. Elle gagnerait à être mieux connue de tous. Mais l’accessibilité fait défaut »plaide-t-il.
Aliou Gueye explique que le patelin situé à 7 km de Toubacouta n’a pas de route praticable. Et c’est pire durant l’hivernage. « Nous sollicitons l’aide de l’Etat pour qu’elle soit goudronnée. L’ancien régime nous avait promis de le faire mais en vain. Cette route mène vers Nioro Mamour Ndary. C’est un axe important dans le Ndiombato donc, si on arrivait à la goudronner elle permettrait à la zone d’émerger », prône-t-il.
Peu de terres pour l’agriculture
Le chef de village de Keur Aliou Gueye plaide également pour plus de terres pour l’agriculture. « Avant, il y avait une partie de la forêt qu’on utilisait pour l’agriculture. Mais, au fil des années les services de l’Etat l’ont récupérée et l’ont rattachée à la forêt. C’est devenu une forêt classée qui s’étend sur 6 km² », dit-il. Le plaidoyer est aussi le même du côté du village de Sangako.
« Nous avons auparavant des terres cultivables. Malheureusement, notre forêt a été classée en 1935 et maintenant, nous n’avons presque plus de terres pour l’agriculture. Il urge pour notre survie que les autorités nous octroient des contrats de culture », estime Aliou Senghor, chef de village de Sangako.
« Nous n’avons aussi plus d’arbres fruitiers dans la foret car les singes détruisent tout sur leur passage. Si on pouvait nous en débarrasser, nous serions plus épanouis », défend-t-il.
Le chef de ce village ancestral fondé en 1800 appelle les autorités à prendre des mesures dans ce sens. « Ces animaux détruisent nos récoltes durant toute l’année et nous appelons l’État à nous appuyer sur cette question. C’est trop dur pour nous. Or, nous avons des terres très fertiles. Des promesses ont été faites à ce propos mais rien n’a été fait. Les femmes se rabattent sur la récolte de sel, des huitres et autres », se désole-t-il.
Mariama DIEME-Arame NDIAYE-Images :Moustapha Djamil THIAM