Enseignant de formation, Carim Camara est, aujourd’hui, surintendant en charge des relations communautaires dans une société minière installée dans la région de Kédougou. S’occupant de la responsabilité sociale de son entreprise, d’un fonds d’investissement social et environnemental, l’ancien enfant de troupe du Prytanée militaire de Saint-Louis, est un militant pour la cause de la région, particulièrement de Dindéfelo qui l’a vu naître.
Très actif pour sa communauté, celui qui a été également journaliste à l’Agence de presse sénégalaise (Aps, avec une formation à la Deutsche Welle) reste un amoureux de son terroir pour lequel il appelle les fils d’abord à relever les défis pour un développement intégral. Tour d’horizon sur les défis et urgences dans l’entretien qu’il nous a accordé.
Vous êtes originaire de Dindefélo. Pouvez-vous revenir sur la zone qui, au-delà des chutes d’eau, regorge de réelles potentialités touristiques et économiques ?
La zone de Dindefelo est, à vrai dire, une clémence divine. Les potentialités naturelles sont immenses même si elles sont encore peu ou pas exploitées. Outre la Cascade de Dindefelo, la plus célèbre et la plus haute en altitude est la seule qui coule 12 mois sur 12. Nous avons une autre à Afia2, une à Ségou, celle de Inguili à Coucoudié et deux autres à Kounsi et Kafori dans le Fongolembi. D’autres attractions existent dans la zone de Dindefelo telles que les dents et les grottes de Dandé, la malle de Pelle, la source de la Cascade de Dindefelo, le fleuve Gambie… Bref, Dindefelo est gâté par la nature. De nombreux sites de la région de Kédougou semblent méconnus du commun des Sénégalais.
Qu’est-ce qui doit être fait pour une meilleure connaissance et fréquentation de la région ?
Ces sites sont pour la plupart méconnus du grand public et méritent d’être vulgarisés pour être connus des Sénégalais. Il faut une véritable promotion de la destination à côté des efforts des guides touristiques.
Kédougou est un carrefour de cultures avec une mosaïque d’ethnies qui cohabitent harmonieusement. L’État doit accompagner avec l’installation de structures d’accueil dignes de ce nom et les Sénégalais doivent arrêter de regarder Kédougou comme un camp de punition… La zone est très accessible avec des routes et des infrastructures visibles un peu partout.
Quels autres défis et urgences notez-vous ?
Un effort énorme a été fait dans le domaine des infrastructures, mais il reste encore la finition du tronçon Silling-Dindefélo, la route de Fongolembi. Mais aussi l’accès au réseau de téléphonie mobile. Beaucoup de villages sont coupés du réseau, ce qui favorise l’insécurité notée ça et là. Pratiquement tous les villages frontaliers du Mali et de la Guinée n’ont pas accès au réseau sénégalais et utilisent ceux des pays frontaliers.
L’agriculture est l’activité principale de la zone qui connait une bonne pluviométrie. Mais les populations remontent certaines doléances sur l’activité.
Comment devrait-on procéder, à votre avis, pour une meilleure prise en compte de ces doléances ?
Malgré les atouts naturels, l’agriculture est encore pratiquée de façon rudimentaire sur de petits périmètres avec des houes et des charrues. Les populations continuent de voir l’agriculteur comme un individu qui n’a rien d’autre à faire, donc une activité dévalorisante. Il faudrait recourir à l’agriculture intensive, à sa mécanisation et travailler à créer des champions. Qu’on trouve des agripreneurs avec une certaine réussite sociale à brandir aux jeune
Il y a certes l’exploitation de l’or. Mais l’arrêt de l’orpaillage traditionnel semble porter préjudice à certains.
Comment faire pour que les populations puissent bénéficier des richesses de la zone ?
L’exploitation artisanale de l’or ne profite pas qu’aux seuls nationaux. Des milliers de personnes de 37 nationalités y cohabitent parfois de façon conflictuelle.
La fermeture en soi n’est pas bénéfique pour la plupart des populations qui tirent profit de la pratique en y travaillant directement ou en exerçant des activités autour de la mine. Il fau discuter avec les populations riveraines et les pays frontaliers. Si le Sénégal interdit jusqu’à 500 mètres de ses rivages alors que de l’autre côté les orpailleurs le font dans le fleuve, c’est un problème. Revenons au cas spécifique de Dindéfelo où de nombreux élèves issus du Plateau dépourvu de collège et de lycée souffrent le martyre en l’escaladant et en descendant tous les jours.
Qu’est-ce qui devrait être fait pour alléger leur souffrance ?
Ici, intervient l’équité tant chantée dans ce pays. Des enfants de 12 à 19 ans quittent chaque matin à 6 h leurs foyers pour arriver à 8 h15 au lycée. C’est inadmissible. Ils marchent à travers des montagnes, des ravins, de gros arbres avec tout le risque pour pouvoir bénéficier d’une éducation. Il faut un collège sur le plateau où il y a quatre villages, il faut un collège à Pelel Kindessa où les enfants font 7 à 9 km pour arriver dans leur établissement. L’école sénégalaise est sans doute dans de très bonnes mains avec Moustapha Mamba Guirassy et elle devra être plus républicaine, plus démocratique et plus en phase avec le référentiel Sénégal 2050.
Tout comme Dindefélo, d’autres élèves de Iwol vivent le même calvaire ?
Cette situation est identique à Iwol et dans certains coins de la région. Kédougou doit bénéficier d’une discrimination positive pour combler le gap dans ce domaine. D’ailleurs si rien n’est fait, les abandons continueront au profit de l’orpaillage et le grand banditisme. L’exploitation des potentialités touristiques de la région n’est pas à son meilleur niveau.
Comment améliorer l’accessibilité des sites, particulièrement des nombreuses cascades ?
Il faut désenclaver les zones par de bonnes routes, un accès au réseau téléphonique et la mise en place d’infrastructures d’accueil dignes de ce nom avec une promotion de la destination.
Vous êtes revenu travailler dans la zone après vos études. Quel attachement avez-vous avec la région ?
Ce qui me lie à ce terroir est plus fort que tout et je pourrais même dire que « ce n’est pas les marabouts, c’est Dieu ». Il faut le connaître pour l’aimer. J’ai appelé cette partie du pays, dans mon ouvrage « Lettre à un ami inconnu » (paru aux éditions L’Harmatan en 2016), un bout du monde au goût du monde. J’ai ressenti de l’amertume quand un professeur d’université en géographie ne pouvait pas savoir que la cascade de Dindefelo était au Sénégal. J’étais frustré d’entendre mes parents dire qu’ils vont au Sénégal quand ils veulent se rendre à Dakar…
Cette clémence divine doit être valorisée, vulgarisée et promue. Des Sénégalais payent des millions pour passer une semaine en Europe ou aux États-Unis alors que la beauté, la tranquilité qu’ils recherchent se trouvent à leurs portes. Je n’ai jamais autant aimé cette partie que lorsque j’en étais loin.
Quelle devrait être la posture des fils du terroir pour un envol ?
On décrie très souvent les nombreux départs des enseignants pour d’autres régions alors que nous-mêmes, nous ne voulons pas y servir. Pareil pour les médecins ! Pourquoi les médecins originaires de Kédougou ne veulent pas montrer l’exemple. Si d’autres, par préjugés négatifs, ne veulent pas servir chez toi, toi retournes y et prouves que tu as la plus belle région du pays. Aussi ceux qui servent doivent bénéficier de cette « téranga » légendaire à Kédougou.
Dans mon premier poste dans l’enseignement, au village de Habibou, je restais deux mois sans avoir besoin de mon argent puisqu’on me donnait tout…
Qu’attendez-vous de l’Etat sénégalais indépendamment de tout ce qui a été fait pour désenclaver la région ?
On attend beaucoup des nouvelles autorités qui ont fait montre d’une bonne volonté en érigeant le pôle Sud-Est autour de Kédougou. Il faudra des investissements structurants pour cultiver une certaine attractivité de la région, promouvoir davantage le tourisme, préserver la culture, intensifier l’agriculture, faire bénéficier aux populations des retombées de la mine, diversifier l’offre de formations, créer des mines de Kédougou et responsabiliser les enfants de Kédougou…
Propos recueillis Par Ibrahima Khaliloulah NDIAYE