Sur les monticules de roche blanchâtre concassée qui servaient de clôture à ces immensités de terres retournées étaient plantés des tableaux métalliques portant enseignes dont le message est sèchement succinct : « Explosifs : danger ». Le site était déjà colonisé sur de larges étendues par des pousses de « paftan » ; nom local donné à l’espèce végétale dénommée Calotropis procera.
Une plante qui, de l’avis expert d’un biologiste, spécialiste en foresterie rurale « est un indicateur de sol pauvre ou appauvri ». Tout le contraire du « Kadd » qui n’existe désormais plus, dans cette zone de terroir traditionnel qu’à l’état de relique. Hélas ! Ils sont bien esseulés et tristes les rares spécimens de cette essence (kadd, de son nom scientifique de Faidherbia albida ou encore Acacia albida). Reconnaissables à leur feuillage dégarni et à leur cime totalement émondée en période d’hivernage où la mode dans la nature est à l’abondance et la verte luxuriance), ces arbres du terroir ne poussent plus que dans les strictes limites des périmètres du site, non encore happés par les grosses et dévoreuses canines d’acier des engins des exploitations de basalte, de gré et d’attapulgite.
Comme ailleurs sur la frange littorale du pays, dans l’hinterland sénégalais aussi, le phénomène de dégradation de la biodiversité est bien prégnant. C’est le cas sur ces sites (à Ngoudiane Diack et dans la demi-douzaine des villages et autres hameaux dans le département de Thiénaba dans la région de Thiès : Nioniol, Mbayène, Kamba, Diack, ou dans les deux Mbodokhane) où sont installées plusieurs entreprises privées qui exploitent le basalte et les autres roches marneuses et calcaires fournissant la matière première aux cimenteries et au secteur du Btp du pays et d’ailleurs.
La réalité ainsi décrite conforte l’expertise internationale auteure du rapport sur la « Situation des Forêts du monde en 2001 » publié sous l’égide de la Fao pour qui les activités humaines (facteurs anthropiques inconsidérés) « ayant souvent des répercussions négatives sur l’environnement, « la conservation des ressources naturelles et notamment, celle de la diversité biologique, devient une tâche urgente et essentielle ». Ce qu’endurent les communautés des alentours des carrières de cette partie du pays n’est qu’un avatar localisé d’un phénomène global considéré par le biologiste Enherfeld, dans son livre au titre au titre si révélateur (« Guerre, paix et préservation de la diversité biologique ») comme « un assaut mondial contre la biodiversité ». Cela donne aussi tout son sens à l’engagement dans ce combat citoyen dont il est aujourd’hui un des chantres au plan international.
Dans nombre de pays, l’impératif que voilà est d’autant prégnant que les agressions répétées et multiformes sur le milieu naturel ont pris une telle proportion dans leurs manifestations les plus pernicieuses qu’il faille désormais l’envisager en termes de survie. Non pas seulement des seules espèces de la faune et la flore qui n’ont eu de cesse de subir les contrecoups de ces agressions, mais aussi notre avenir collectif à plus ou moins brève échéance. C’est de l’aggiornamento qu’il s’agit, avec tout ce que cette expression peut drainer comme charge au double plan de l’urgence d’une salvatrice action à mener au risque de périr…Ou encore de s’adapter, au plus vite, aux exigences que nous impose un contexte, à nul autre pareil, pour ce qu’il exige comme responsabilité pour chacun de nous. L’urgence que voilà étant rendue encore plus impérieuse par cette kyrielle d’exemples qui donnent, au quotidien, la gravité du problème de ce que la rupture des équilibres écologiques peut engendrer comme conséquences.
Celles dont les moindres sont ces endémiques crises économiques avec toutes les affres de convulsions sociales à elles liées. Mais aussi à toutes leurs stigmates sur une société qui cherche ses marques, entre les interstices d’une pauvreté rampante, une misère morale sans nom, mère de la violence urbaine inédite source de tous ces actes désespérés (ou au-delà du concevable) dont les journaux et les radios nous relatent les occurrences dans leur plus abjecte nudité : crimes de sang et vols à mains armées, agressions violentes sur ascendants, viols en tout genre, concussion, conspirations… Tout cela parce qu’au départ il y a eu une crise qui en engendre et enchâsse d’autres. Une crise de la nature qui devient une crise de la vie et du mal de vivre…
Ici, tout porte à croire, au regard du sort que l’ouverture des carrières a réservé à la biodiversité, que Kadd l’arbre tutélaire a été tout bonnement sacrifié à l’autel de cette vomissure du volcan qui fait la civilisation du béton. Et oublié alors, tout ce que, depuis la nuit des temps, Kadd a apporté aux hommes et à l’équilibre des écosystèmes en tant qu’élément essentiel d’un dispositif agro-sylvo-pastoral.
Avec la jachère et le mode efficace d’assolement triennal qui lui sont associés et qui ont fait la preuve de leur efficacité écologique. Signe, elle-même, d’une alliance qui remonte aux temps immémoriaux entre l’autochtone de ce terroir et Kadd, cet arbre nourricier dans une sorte de « complicité paradoxale » à propos de laquelle le géographe et spécialiste des terroirs seerer du Sénégal, Paul Pélissier disait qu’elle est l’expression « d’une enseigne ethnique » et l’empreinte séculaire d’une organisation sociale.