Face à une urbanisation galopante marquée par la prolifération du béton et la disparition progressive des espaces verts, l’architecte Mbacké Niang plaide pour une refondation écologique du paysage dakarois. Dans cet entretien, l’ancien vice-président de l’Ordre des architectes du Sénégal (Odas), analyse les conséquences de la minéralisation de la capitale. Il alerte également sur les dérives d’une modernité déconnectée de la nature et appelle à une véritable « révolution verte » urbaine.
Dakar connaît une urbanisation rapide marquée par la multiplication des immeubles et la réduction des espaces verts. En tant qu’architecte, comment analysez-vous cette évolution du paysage urbain de la capitale ?
La capitale est devenue de plus en plus minéralisée ces dernières années. Elle a perdu une grande partie de sa verdure qui faisait, autrefois, la richesse de la presqu’île du Cap-Vert, ainsi que la faune qui l’habitait. À travers le monde entier, l’extension horizontale et verticale des villes est la marque distinctive de la planification moderne, de l’urbanisme et de l’architecture des paysages. Cette mutation rapide traduit un désir de modernité souvent déconnecté des réalités écologiques locales. Les espaces verts, jadis poumons naturels et lieux de socialisation, cèdent la place à des infrastructures qui, bien qu’imposantes, étouffent la respiration urbaine. Il ne s’agit pas plus d’une transformation esthétique, mais d’une métamorphose écologique aux conséquences profondes sur le climat, la santé publique et la qualité de vie. Il est urgent, dès lors, de repenser l’urbanisation dans la capitale parce qu’elle étouffe. La nature doit être au cœur du projet de la ville non comme un simple décor, mais un acteur de l’équilibre urbain.
Vous évoquez souvent la nécessité d’un équilibre entre le bâti et le vivant. Quelles sont, selon vous, les principales conséquences écologiques de la disparition progressive des arbres dans la capitale sénégalaise ?
La nature et la culture sont souvent en conflit orchestré par les êtres humains qui pensent disposer à leur guise de tous les potentiels profitables de l’environnement, en sciant ainsi les branches sur lesquelles ils sont assis et finissant de tomber dans le changement climatique de tous les malheurs. D’ailleurs, c’est ce qui fait que la ville de Dakar n’échappe pas aux régimes des catastrophes, telles les inondations, les îlots de chaleur urbains (Icu) entre autres. La disparition des arbres aggrave considérablement la vulnérabilité climatique dans la capitale. Les surfaces bétonnées absorbent et restituent la chaleur transformant la ville en véritable fournaise durant la saison sèche. D’ailleurs, en perdant ses arbres, Dakar perd aussi son souffle avec la régulation naturelle de l’air, l’humidité et même le chant des oiseaux disparaissent peu à peu en lieu et place d’un environnement bruyant, sec et irrespirable. Les arbres, au-delà de leur rôle esthétique, sont des puits de carbone essentiels. Leur absence favorise une hausse des émissions polluantes, une érosion accélérée des sols et une perte de biodiversité urbaine. Moins d’arbres, c’est moins de vie. L’équilibre écologique se rompt et avec lui, la mémoire végétale de la ville, jadis fière de ses filaos, baobabs et bougainvilliers qui faisaient partie intégrante de son identité paysagère et culturelle.
Face à cette situation, certaines initiatives comme le « Plan Vert » ou la construction annoncée d’un « Central Park » à Diamniadio tentent de répondre à ce déficit de verdure. Selon vous, ces projets peuvent-ils réellement inverser la tendance ou risquent-ils de rester juste symboliques ?
La nature comme « des collines de poumons verts en bouquets de fleurs » devrait prendre de la hauteur dans le paysage urbain au même titre que les immeubles, afin de jouer pleinement sa partition fonctionnelle. Ces projets ne doivent pas seulement être perçus comme de simples vitrines écologiques, mais aussi comme des leviers concrets d’un renouveau urbain durable, bien sûr à condition qu’ils soient accompagnés d’une réelle volonté politique et d’une gestion citoyenne du patrimoine vert. L’aspect esthétique est souvent le plus visible, mais il est intrinsèquement lié à la biodiversité. L’intégration de la nature ne se limite pas à la décoration, car essentielle pour créer un écosystème urbain fonctionnel. Cette ambiance esthétique, créée par des espèces végétales et animales diversifiées, améliore la qualité de vie et le bien-être des citadins. De plus, elle sert de support vital pour les insectes pollinisateurs tels que les abeilles, les papillons, les oiseaux et d’autres petits animaux qui favoriseront la continuité des cycles biologiques. En plus de cela, l’aspect esthétique devient ainsi un indicateur de la santé écologique de la ville, transformant des espaces gris en des lieux de vie vibrants et colorés. En outre, il y a aussi des cultures maraîchères et des arbres fruitiers sur les toits ou les façades qui peuvent être appliquées. Cela permettra à la ville de gagner en résilience alimentaire et réduit l’empreinte carbone liée au transport des denrées. La végétalisation décorative à l’exemple des murs végétalisés, les toits verts contribuent, quant à elle, à l’isolation thermique des bâtiments en réduisant considérablement la consommation d’énergie. Ces approches conjointes démontrent que la nature en ville n’est pas un coût, mais un investissement productif qui contribue directement à la qualité de vie et à l’économie locale. Face à l’imperméabilisation des sols faits à base d’asphalte et de bétons, la nature joue un rôle d’éponge régulatrice. Les toits et les jardins végétalisés interceptent, absorbent et stockent une partie importante des précipitations. Cela ralentit le ruissellement vers les égouts, diminuant la pression sur les réseaux d’assainissement et, par conséquent, diminuant le risque d’inondations en cas de pluies intenses. Cette fonction permet à la nature de s’intégrer dans la gestion hydraulique de la ville, au même titre qu’une infrastructure grise. La présence d’arbres, de haies et de massifs végétalisés crée des écrans naturels qui agissent comme des brise-vents. Ces structures végétales réduisent la vitesse du vent à l’échelle du quartier en limitant le transport et le dépôt du sable et de la poussière. Cela améliore la qualité de l’air et réduit l’usure des infrastructures. La nature se positionne ainsi comme un agent de protection physique pour les habitants et les biens. Le phénomène des îlots de chaleur urbaine (Icu) est aggravé par l’accumulation de matériaux sombres (béton, bitume) qui absorbent et retiennent la chaleur.
On assiste à une destruction de l’environnement à Dakar par le bitume et les immeubles qui remplacent la couverture végétale. Comment reverdir la capitale sénégalaise ?
Effectivement, il faut appliquer une végétation solide qui profite à l’environnement et à tous les Dakarois. La végétation contrecarre cet effet de deux manières : les arbres et structures végétales bloquent le rayonnement solaire direct et les plantes libèrent de l’eau dans l’atmosphère par un processus similaire à la transpiration, ce qui refroidit l’air ambiant. En jouant ce rôle de climatisation naturelle, la nature participe activement à la santé publique en rendant les espaces urbains plus vivables lors de fortes chaleurs. De plus, la réduction de la température ambiante diminue significativement la demande en énergie pour la climatisation artificielle des bâtiments, offrant un bénéfice économique et écologique majeur.
En tant qu’ancien vice-président de l’Ordre des architectes du Sénégal (Odas), quelles recommandations concrètes formuleriez-vous aux pouvoirs publics pour que la prochaine génération de bâtiments intègre mieux la dimension écologique ?
Dans la politique gouvernementale de nouvelles villes et de rénovation urbaine, il est recommandé que les terrains d’angle, de moins de 200 m2 de superficie soient aménagés en placettes-jardins-poumons verts aux intersections des rues et que des groupes de parcelles de six à huit mètres soient aménagés en îlot-concession ayant une cour centrale commune végétalisée et partagée par les habitants. Ils permettront de maximiser l’impact de la verdure sans nécessiter de vastes emprises foncières. L’aménagement de ces cœurs d’îlots partagés favorise l’esprit communautaire et la cogestion du patrimoine vert en créant des lieux d’échange et de convivialité intergénérationnelle. De plus, ces petites surfaces végétalisées, multipliées à l’échelle du quartier, contribuent de manière significative à l’infiltration des eaux de pluie et à l’atténuation des îlots de chaleur à l’échelle locale. Ces principes d’aménagement garantissent que la nature devienne une composante intrinsèque et accessible du quotidien urbain, un simple élément décoratif périphérique.
Propos recueillis par Mamadou Elhadji LY (Stagiaire)