Mohamadou Mountaga Diallo, professeur de géographie-aménagement du territoire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, est revenu sur les actes posés par les autorités ce week-end, avec les opérations de désencombrement. De son avis, il faudra mettre en place un comité de suivi pour une meilleure gestion de l’espace urbain.
Quel est l’impact de l’occupation anarchique dans nos villes ?
L’occupation anarchique est aujourd’hui l’une des principales images négatives de notre urbanisation. Il suffit de faire un tour à Colobane, aux Hlm, à Grand Dakar, ou encore dans des villes de l’intérieur comme Kaolack, Touba… pour s’en rendre compte. Cette situation crée de nombreuses conséquences. Sur le plan social, l’encombrement et la congestion urbaine réduisent la qualité de vie des populations, notamment riveraines, et favorisent l’insécurité et la criminalité. Du point de vue environnemental, il faut relever que l’existence d’espaces verts est essentielle pour la qualité de vie en milieu urbain. Cependant, aujourd’hui, on note une forte occupation anarchique des espaces publics dans nos villes, en particulier à Dakar, se traduisant par la dégradation de l’environnement urbain.
Qu’elles peuvent être les conséquences économiques de cette situation ?
Pour l’impact économique, il faut d’abord dire que l’occupation anarchique limite la mobilité urbaine, créant des embouteillages monstres qui affectent la productivité. À cela s’ajoutent les risques d’incendie, notamment dans les marchés et aux alentours de ces hauts lieux de l’activité commerciale. En effet, les marchés urbains sont aussi un symbole de l’occupation anarchique, avec de nombreuses conséquences, parmi lesquelles les accidents et incendies répétitifs notés dans les marchés publics. Il faut souligner que, dans bien des cas, la pauvreté est un facteur d’occupation anarchique. Il est fréquent de constater, à Dakar, que les occupants informels des espaces publics — notamment les trottoirs et les abords des marchés — sont des jeunes et des femmes en situation de forte vulnérabilité économique. Ainsi, si les occupations anarchiques permettent à ces catégories de personnes de disposer de revenus, il n’en demeure pas moins qu’elles présentent de graves conséquences sur le cadre de vie et sur l’économie urbaine.
Quels sont les mécanismes à mettre en œuvre pour assurer un bon suivi de ces actions de désencombrement initiées par les autorités ?
L’occupation anarchique de l’espace urbain, en particulier à Dakar, constitue une question cruciale pour la gouvernance urbaine. C’est pourquoi, les pouvoirs publics développent des initiatives visant une meilleure organisation de l’espace. Il faut rappeler que, dans le passé, il y a eu des actions de désencombrement de la voie publique, mais qu’il y a souvent un manque de suivi, comme ce fut le cas du déguerpissement des ouvriers et petits commerces occupant les alentours du stade Léopold-Sédar-Senghor, revenus quelque temps après l’opération. Pour éviter que pareilles situations ne se répètent, il faut mettre en place un mécanisme concerté et inclusif. Dans chaque territoire, un comité de suivi présidé par l’autorité administrative et regroupant tous les acteurs (forces de défense et de sécurité, élus locaux, organisations locales, associations socioprofessionnelles) doit être institué, dans un esprit collaboratif et constructif. Ce comité doit veiller au respect strict des mesures prises et sanctionner si nécessaire. Mais ici, une question importante se pose : les occupants illégaux des espaces publics sont, le plus souvent, des acteurs socio-économiques à la recherche permanente du pain quotidien. Leur situation doit être prise en compte. C’est pourquoi l’État doit travailler, en relation avec les collectivités territoriales et les organisations socioprofessionnelles concernées, à l’aménagement — dans le cadre de la planification urbaine — d’espaces commerciaux accessibles et fonctionnels, et veiller à leur occupation effective. Nos villes souffrent de l’étalement urbain non maîtrisé.
Quels sont les moyens à mettre en place pour une meilleure gestion de l’espace ?
L’étalement urbain non maîtrisé est la conséquence d’une absence de planification urbaine. C’est un grand défi au Sénégal et, plus généralement, dans les pays en développement. Les hommes devancent les aménagements urbains, entraînant des extensions spatiales tous azimuts. Ainsi, la première action pour remédier à l’étalement urbain non maîtrisé est d’adopter une approche prospective de l’urbanisation. Ici, les pouvoirs publics — État et collectivités territoriales — sont interpellés sur la nécessité d’avoir une politique effective de planification urbaine. Il s’agit d’élaborer, et surtout de mettre en œuvre, les documents de planification urbaine comme les schémas et plans directeurs d’urbanisme, en veillant au respect des affectations du sol. Par exemple, les inondations dans plusieurs villes du pays sont, en partie, consécutives au non-respect des recommandations des documents d’urbanisme. Ensuite, il convient de veiller à la bonne gouvernance urbaine. Les pouvoirs publics doivent respecter et faire respecter les textes. Plusieurs usagers occupent, sans autorisation, des espaces parfois non aedificandi, et se permettent ensuite de revendiquer des droits en cas de déguerpissement et/ou d’inondations. Enfin, qui dit étalement urbain dit question foncière. Nous avons beaucoup de problèmes dans nos périphéries urbaines du fait de la mauvaise gouvernance foncière, à laquelle les pouvoirs publics doivent remédier. Depuis avril 2024, les nouvelles autorités ont posé des actes forts qui témoignent de leur volonté d’améliorer la gouvernance foncière et de veiller à la préservation de certains espaces publics.
Quel doit être le rôle des collectivités territoriales dans ce travail de maîtrise de l’espace urbain ?
À la lumière des différentes lois, le maire peut aider l’État dans la gestion du domaine public, avec des compétences en matière d’environnement, d’urbanisme et d’aménagement du territoire. La mairie est également chargée de la police municipale, qui a, entre autres missions, de veiller « à la sûreté et à la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l’éclairage, l’enlèvement des encombrements… ». Compte tenu de ce cadre législatif et réglementaire, les collectivités ont un rôle de relais de l’État, de planification de l’occupation de l’espace communal, d’aménagement, de sûreté et de salubrité de l’espace urbain. En réalité, les collectivités territoriales sont un acteur clé de la maîtrise de l’espace urbain. Cependant, le manque de moyens financiers, de ressources humaines compétentes et, dans une moindre mesure, de courage politique (peur du vote sanction) empêche les collectivités territoriales de jouer pleinement leur rôle d’aménagement et de planification urbaine. L’État s’est lancé dans un nouveau « relifting » de la capitale pour en faire une grande métropole.
Selon vous, comment les autorités doivent-elles procéder pour réussir cette politique ?
D’abord, il convient de rappeler que « Dakar métropole » et, plus généralement, la question du développement du Sénégal à partir des pôles-territoires est ancienne. Déjà, les sept régions du pays à l’indépendance recoupaient approximativement les huit pôles-territoires en cours de construction. Plus récemment, dans le cadre de l’Acte 3 de la décentralisation de 2013, la question des pôles est revenue. C’est pour dire que nous n’avons pratiquement pas de problème de contenant. Tous s’accordent sur la nécessité de bâtir le Sénégal autour de divers pôles complémentaires, dont la compétitivité repose sur leurs ressources territoriales. L’enjeu, c’est donc le contenu ! Cela dit, pour répondre à votre question, il faut, d’abord, à mon avis, avoir un regard global, une approche holistique. Il ne faut pas penser uniquement l’aménagement de Dakar, mais plutôt celui du Sénégal. En effet, Dakar ne pourra être une métropole attractive et compétitive que si l’État, concomitamment à la construction de « Dakar métropole », parvient à créer des villes fortes à l’intérieur du pays. Kaolack, Tambacounda, Saint-Louis, Matam, Ziguinchor… doivent monter en puissance afin de permettre à Dakar de respirer et de bien se positionner dans le champ régional, continental et mondial.
Quels sont les projets à mettre en œuvre pour que Dakar soit une métropole attractive et compétitive ?
Dans cet esprit consistant à faire de Dakar une métropole attractive et compétitive, il faudra miser sur des projets clés : les technologies de l’information et de la communication, les infrastructures de pointe dans les domaines du tourisme et de la mobilité, le logement. L’aménagement de Dakar doit accorder de l’importance à la résilience de la ville, en intégrant la réalisation d’espaces verts et une occupation judicieuse de l’espace. Enfin, « Dakar métropole » doit être une co-construction, avec un dialogue constructif et un partenariat gagnant-gagnant entre l’État, les collectivités territoriales, le secteur privé, les communautés et les partenaires techniques et financiers. L’implication positive des collectivités territoriales suppose qu’elles soient bien outillées, notamment sur les plans technique et financier. Ce qui pose les défis structurels de la décentralisation au Sénégal, à savoir le manque de personnel technique dans les collectivités et, surtout, le problème du financement.
Propos recueillis par Amadou Maguette NDAW