Au Sénégal, l’oignon local est encore disponible sur les marchés. Un fait quasiment inédit à pareil moment de l’année. Mais derrière cette prouesse, se cache une combinaison réussie de techniques traditionnelles de conservation, de renforcement des infrastructures post-récolte et surtout de politiques publiques stratégiques.
En cette période où les producteurs de la vallée du fleuve Sénégal se préparent pour la nouvelle campagne, l’on aurait pu penser que les stocks de l’ancienne récolte seraient épuisés. Pourtant, l’oignon local circule toujours sur les marchés, défiant les habitudes des années précédentes où, à la même période, il était quasiment introuvable. Avec une production estimée à 450.000 tonnes en 2025, dépassant largement les besoins nationaux fixés à 350.000 tonnes, le gouvernement devait trouver des mécanismes pour l’écoulement et la conservation.
Face aux pertes post-récolte persistantes, estimées à 30 % dans des zones comme le département de Podor, plusieurs initiatives ont vu le jour pour prolonger la durée de vie du produit. Ainsi, l’oignon récolté entre mars et avril est aujourd’hui encore commercialisé sur le marché local. Au marché de Ndioum, l’oignon local tient encore sa place. « Ce n’est pas beaucoup, mais nous avons toujours de l’oignon produit dans la zone. L’année dernière, à pareille époque, il n’était pas possible d’en trouver », renseigne Ibrahima Sy, commerçant au marché central de de cette ville. Dans de nombreuses boutiques et magasins visités, le produit est bien visible. Il y a quelques mois, une telle situation aurait été considérée comme une anomalie. Mais pour y parvenir, les producteurs ont eu recours à des méthodes efficaces.
Parmi elles, le tressage des oignons, qui consiste à attacher les bulbes en tresses suspendues à l’abri. Cette technique traditionnelle assure une bonne aération, limite l’humidité et prévient la germination ou la pourriture. Des méthodes de conservation efficaces Il y a aussi le stockage grillagé, une autre pratique très répandue dans la vallée. Les oignons y bénéficient d’une excellente ventilation, permettant leur conservation jusqu’à six mois avec des pertes réduites. « C’est une technique que beaucoup de producteurs utilisent ici. Les chambres froides sont coûteuses et nous ne disposons pas des moyens nécessaires. Ce système est accessible à presque tous, et son efficacité n’est plus à démontrer », explique Siléye Thiéne, producteur dans la zone de Taredji. Les hangars ventilés constituent également une méthode utilisée dans les zones à faibles moyens.
Ils permettent de protéger les oignons de la pluie et du soleil tout en assurant une circulation d’air minimale. Enfin, les producteurs recourent parfois au séchage au soleil, étape essentielle du processus : elle consiste à exposer les oignons fraîchement récoltés à la lumière afin de bien sécher leur enveloppe externe, ralentissant ainsi les risques de pourriture. Infrastructures modernes, résultats concrets Cette dynamique a été renforcée par des investissements importants de l’État sénégalais dans le secteur horticole. L’usine de déshydratation de Ross Béthio, inaugurée en février 2025, peut transformer jusqu’à 50.000 tonnes d’oignons par an en poudre ou en lamelles. Elle permet ainsi d’absorber une part significative de la production excédentaire et d’en faciliter l’exportation.
Le Plan national de conservation frigorifique (Pncf), lancé la même année, s’est fixé pour objectif de stocker jusqu’à 150.000 tonnes d’oignons dans des chambres froides situées dans plusieurs grandes villes, dont Saint-Louis. Dans la même logique, le Programme national de relance de l’horticulture (Pnrh) met l’accent sur le déploiement de chambres froides, de séchoirs modernes et de technologies adaptées à la réalité des producteurs locaux. Grâce à ces efforts combinés, les producteurs ne sont plus contraints de vendre rapidement leurs récoltes.
La qualité des oignons est mieux préservée et la disponibilité du produit s’étend désormais sur une période beaucoup plus longue. Jadis consommé en trois mois maximum, l’oignon local peut désormais être commercialisé jusqu’à six mois, voire davantage, après récolte. « Grâce à ces méthodes, nous pouvons garder notre production aussi longtemps que possible. C’est une avancée significative que nous saluons », s’est félicité Boubacar Sall, président du collège des producteurs d’oignons du Sénégal. Le Sénégal avance ainsi vers un approvisionnement continu en oignons tout au long de l’année, ce qui devrait réduire considérablement sa dépendance aux importations, tout en renforçant la résilience des filières locales.
Mamadou THIAM (Correspondant)