Nichée au cœur des bolongs de la commune de Mlomp, Pointe Saint-Georges est bien plus qu’un simple village. C’est un écrin de nature et d’authenticité, porté par le murmure du fleuve Casamance et la majesté d’un mirador perché sur un fromager séculaire. Là, entre ciel et eau, le temps se suspend et le visiteur goûte à une expérience unique.
Dans le département d’Oussouye, après avoir quitté la route asphaltée qui file vers Elinkine, le voyage s’engage sur une piste de latérite rouge, gorgée d’eau en cette saison des pluies. À droite, depuis Kagnout, l’horizon se ferme derrière les silhouettes monumentales des fromagers géants. La pluie fine rythme la progression, rendant la piste presque impraticable.
Chaque nid-de-poule ralentit l’allure, mais la destination mérite bien quelques cahots. Cependant, notre conducteur, Habib Ndoye, affronte bien cette piste couverte de latérite rouge. Il a plu ce jour-là. On fonce sur Pointe. Derrière, on aperçoit de loin, les fromagers géants du village de Kagnout. À cause de l’état de la piste, on a l’impression que le voyage dure une éternité. On ne baisse pas les bras. Il faut atteindre, à tout prix, le village touristique de Pointe Saint-Georges.
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Derrière le pare-brise embué, une antenne de téléphonie mobile apparaît enfin. C’est le signe que Pointe Saint-Georges n’est plus très loin. À 17 h 35, après un dernier virage bordé de palétuviers, le village se dévoile, semblant figé dans une autre époque, mais vibrant d’une vie tranquille. On se perd un peu dans le village avant de retrouver un jeune homme qui nous conduit à bon port.
Sur les berges du fleuve Casamance, où glissent majestueusement les navires Aline Sitoé Diatta et Aguène reliant Dakar à Ziguinchor, plusieurs pirogues reposent, amarrées à même la rive. On aperçoit également un bateau de croisière transportant des touristes. L’air porte l’odeur salée de l’estuaire. Un peu plus loin, le campement « Le Lamantin » domine la vue.
Son gérant, Barthélémy Manga, enfant du village voisin de Mlomp, nous accueille avec le sourire. « J’ai grandi ici, à Pointe Saint-Georges. En pleine saison, le tourisme se porte bien. La plupart de nos clients sont des Français, mais nous recevons aussi des Anglais et des Espagnols. Les Sénégalais viennent surtout pour la plateforme, notre mirador », explique-t-il.
Le village vit essentiellement de la pêche et du tourisme. Depuis que la piste a été aménagée en 2016, l’accès s’est amélioré, attirant plus de visiteurs. « Nous organisons aussi des excursions vers Carabane, l’île de Niomoune pour observer les crocodiles, et même des transferts vers Kafountine », détaille Barthélémy.
En basse saison, les visiteurs espagnols sont les plus fidèles. Les excursions incluent un passage dans un lieu unique : un point d’eau douce où, à marée basse, les lamantins viennent s’abreuver avant de repartir à marée haute.
Escalader le mirador, une expérience qui marque à vie
L’arrivée à Pointe Saint-Georges se fait par une piste sablonneuse bordée de palétuviers en expansion et de champs soigneusement entretenus. Dès les premiers pas dans le village, le visiteur est enveloppé d’un silence doux, seulement ponctué par le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles, ou le murmure du vent qui traverse les arbres. L’air y est pur, chargé d’odeurs de terre humide, de fumée légère et de fleurs tropicales en cette période hivernale.
Il ne s’agit pas d’un silence vide, mais d’une paix naturelle, presque méditative. Les maisons du village, pour la plupart, construites selon l’architecture joola, se fondent harmonieusement dans le paysage. La végétation luxuriante entoure chaque recoin de Pointe Saint-Georges. À la saison des pluies, les rizières verdoyantes offrent un spectacle magique, vibrant de lumière et de reflets. À Pointe, il fait beau. Le climat est généreux.
Des circuits de découverte ont été mis en place, à pied ou en pirogue, pour explorer les bolongs environnants. Mais, à Pointe Saint-Georges, il y a un endroit qui est plus fascinant : la plateforme ou mirador. Pour atteindre ce géant végétal, il faut marcher à travers les sentiers sablonneux bordés de rizières et de forêts. L’ambiance change dès qu’on arrive au pied du fromager.
Le silence des lieux est seulement ponctué par les chants d’oiseaux et le souffle du vent dans la canopée. « La plateforme est installée depuis 2008 sur un fromager de 35 mètres de haut, qui lui-même, a environ six siècles. Elle fait 25 mètres de haut et c’est un véritable point d’attraction. Les clients d’hôtels de Cap-Skirring venaient souvent ici pour l’escalader », renseigne Barthélémy Manga.
Une nature généreuse, mais des défis persistants
Ce mercredi 6 août 2025, le ciel rosit doucement lorsque des voix de touristes adultes et enfants percent l’air. Quatre Espagnoles dont deux petites filles descendent du mirador, essoufflées, mais triomphantes. Anna, la plus âgée, rayonne.
« C’est une expérience unique. J’ai bien aimé. Au départ, j’avais peur, mais finalement, j’ai réussi sans problème. C’est merveilleux », s’exclame-t-elle. À côté, Léon Badiane, originaire de Diakène Diola et membre de l’équipe qui encadre les escalades, confirme.
« La plateforme attire énormément. C’est beau et impressionnant. C’est un point d’attraction. Les touristes adorent venir passer du bon temps dans cet endroit qu’ils trouvent magnifique », soutient, avec insistance, le jeune homme. Si Pointe Saint-Georges séduit, elle n’est pas à l’abri de difficultés.
« Nous n’avons pas d’électricité. Pendant l’hivernage, il est difficile d’accéder au village. Et comme nos panneaux solaires dépendent du soleil, il arrive qu’à 19 h, nous n’ayons plus d’eau. Ceux qui n’ont pas de moyens doivent aller chercher de la glace à Mlomp pour conserver leurs boissons », confie Barthélémy Manga.
Le village compte trois campements et une auberge, insuffisants pour absorber une forte affluence, mais assez pour préserver l’intimité du lieu. À Pointe Saint-Georges, on ne vient pas seulement pour gravir un mirador ou naviguer dans les bolongs. On vient pour ressentir une harmonie rare : celle d’un village qui conjugue tradition et nature.
Ici, chaque départ laisse un petit vide et chaque visiteur repart avec un trésor invisible : l’impression d’avoir touché à quelque chose de pur. Et donc, en quittant la Pointe, le visiteur emporte bien plus que des photos ou des souvenirs matériels. Il emporte une émotion rare, née de la rencontre avec une terre généreuse, un mirador digne et plein de sagesse. Ce village, pourtant modeste en apparence, révèle à ceux qui prennent le temps de l’écouter une leçon de vie et d’humanité.
Par Gaustin DIATTA, Seydou KA (textes) et Ndèye Seyni SAMB (photos)