Construit pour desservir la banlieue dakaroise, le pont du prolongement de la Vdn à hauteur de Nord Foire est devenu le théâtre d’une incivilité notoire. Loin de l’image de modernité qu’il est aujourd’hui censé incarner, cet édifice subit de plein fouet les affronts quotidiens d’une pratique répugnante qui, non seulement met en péril sa durabilité structurelle, mais compromet également la santé et le bien-être des riverains qui côtoient, impuissants, ce spectacle désolant. Le joyau se mue lentement, mais sûrement, en un symbole criant de négligence collective.
Des éclaboussures jaunâtres souillent certains piliers sur lesquels des taches sombres s’étalent, tandis que de longues traînées d’urine ruissellent, serpentent et s’infiltrent dans les interstices. De petites flaques d’un liquide nauséabond scintillent, imprégnées d’une odeur suffocante. Pour bon nombre de personnes, uriner sur ces piliers du pont reliant la Voie de dégagement nord (Vdn) aux localités telles que Malika ou encore Tivaouane Peulh est devenu un geste banal, voire machinal pour certains. « Je ne me pose pas de questions, je pisse sur ces piliers à chaque fois que j’en ressens le besoin », lance un quidam, les narines pincées dans une atmosphère quasi irrespirable.
Édifié pour fluidifier la circulation, ce joyau d’ingénierie subit depuis longtemps les stigmates de cette « incivilité devenue monnaie courante ». Il est 17 heures ce jeudi 3 juillet 2025. Riverains, passants et vendeurs installés sous le pont constatent, avec impuissance, cette routine dégradante qui se déroule au quotidien. Se tenant derrière son étal qui jouxte la route, Maïmouna Tine, une vendeuse de pain-thon et d’autres petits mets très prisés, se désole de cette situation écœurante.
« C’est vraiment dégoûtant, l’odeur est insupportable. On dirait que personne ne se soucie de la propreté », confie-t-elle, l’air résigné. À l’en croire, ce phénomène a des répercussions négatives sur son activité. Obligée de se déplacer avec sa table pour trouver, sous ce pont bigarré, un endroit approprié où ses clients ne vont pas inhaler les particules dangereuses, la vendeuse peine à cacher son amertume. « Ils urinent sur tous les piliers. D’aucuns même y défèquent. Je m’accommode, par conséquent, pour entretenir mon business », explique Maïmouna Tine.
L’inquiétude des riverains
Plus loin sur cette route secondaire, enserrée entre le pont où le trafic s’intensifie et les habitations, un groupe de jeunes apprentis chauffeurs de cars papotent dans une ambiance festive, sans visiblement trop se soucier de l’odeur pestilentielle ambiante. Cette attitude désinvolte, renseigne Ousseynou, se justifie par l’habitude, mais aussi le manque de toilettes publiques. Reconnaissant volontiers son « incivilité », il s’explique : « Les bons samaritains d’autrefois n’existent plus. Je n’ose plus entrer dans une maison pour demander à faire mes besoins. Donc, on est sommé de le faire sous ce pont. Avez-vous vu des toilettes publiques tout autour ? », s’interroge le jeune sur un ton taquin. Toutefois, ce comportement trop courant n’est pas sans conséquences. Car, au-delà de l’aspect répugnant et de l’inconfort olfactif pour les riverains et les usagers du pont, il y a un impact sur la structure elle-même. En effet, l’urine corrosive peut, à long terme, dégrader le béton et l’acier d’armature des piliers, selon certains. Ce qui affaiblit la structure du pont. Le dos légèrement cambré et le corps s’arc-boutant sur une canne, Elhadji Gadio, un riverain, effectue sa marche quotidienne. Son alacrité cache un sentiment d’inquiétude. « Je me soucie de la longévité du pont », lâche-t-il sans tiquer. En effet, il estime que, d’ici quelques années, sans l’intervention des autorités pour régler ce problème, les piliers du pont risquent de s’affaisser. Il dénonce l’apathie. « On voit un drame qui se joue, mais on ne fait rien. Il faut agir vite, très vite. L’idée qui me vient en tête quand je passe ici, c’est que le pont risque, à cause de cette insouciance, de tomber », affirme Elhadji.
Un enjeu de santé
La question de la salubrité sous le pont de la Vdn est à la fois un problème environnemental et un enjeu de santé publique « alarmant ». Assise sur un banc de fortune, Fatou Diawara, une mère de famille résidant à proximité, exprime, comme Elhadji Gadio, « sa profonde » inquiétude. « C’est une honte. Mes enfants jouent parfois près d’ici. On craint les maladies, des infections. Comment peut-on vivre comme ça ? C’est notre santé qui est en jeu, et personne ne semble s’en soucier », explique la mère de famille. Son témoignage met en lumière le danger direct que représente cette situation pour la population, en particulier les plus vulnérables, comme les enfants, confrontés quotidiennement à un environnement propice à la prolifération d’agents dangereux pour la santé. « J’exhorte les autorités à agir pour endiguer ce fléau », ajoute Fatou Diawara.
Face à l’ampleur de ce fléau qui souille un ouvrage public vital et met en péril la santé des populations, l’urgence d’agir ne fait plus débat. Au-delà du simple nettoyage, c’est une prise de conscience collective et une action concertée des autorités et des citoyens qui s’imposent. Le pont de la Vdn, symbole de modernité et de développement, ne doit pas rester un urinoir à ciel ouvert. Il doit retrouver plutôt sa fonction première.
Pathé NIANG