Une image peu reluisante ! C’est ce qu’offre, depuis quelques années, le littoral de Yoff. Pris entre le marteau de l’insalubrité et l’enclume de la montée des eaux, les riverains lancent un Sos pour leur survie. Cette dégradation de l’écosystème côtière est causée par une conjonction de plusieurs facteurs.
Il faut partir de Tonghor, quartier situé à l’extrémité de la commune pour se faire une religion sur la disgrâce du littoral de Yoff. Dans cet endroit qui capitalise le plus grand nombre de pêcheurs, le paysage se confond à un dépotoir d’ordures. Ces déchets sont d’une telle ampleur qu’une partie de la rive est aménagée pour faire office de poubelle. Dans les parages, personne ne semble gêné par l’odeur nauséabonde. À côté de ces ordures, foisonnent des vendeuses de poisson. Peu soucieuses des dangers que posent leurs résidus sur la mer, elles font la course aux clients. « On est très inquiets », soupire Gallé Samb dont la maison est à 200 mètres de la rive.
Ce jeune pêcheur voit de jour en jour la mer se rapprocher. « D’ici quelques années, nous serons appelés à nous en aller. Mais pour où ?», s’interroge-t-il, d’une voix chargée d’amertume. Autrefois, la plage de Tonghor damait le pion à celle de la Bceao. Ce samedi 24 mai 2025, une dizaine de baigneurs flottent dans des eaux noircies par les déchets de poissons jetées sur elles. Une couleur partagée par le sable qui croule sous l’effet des ordures et les résidus de poisson. Dans l’aire de jeu du terrain du quartier, des creux, conséquence de l’extraction du sable à des fins de construction, témoignent du mal profond qui habite la plage.
Dans le quartier voisin, Ndénatte, la situation est loin d’être meilleure. Ici, le terrain d’entrainement est englouti par les eaux marines. Des groupes de jeunes filles tenant des sceaux déversent les eaux usées domestiques sur la berge. À Yoff, les déchets domestiques n’ont qu’un seul réceptacle : la mer. À Dagoudane, un grand égout contamine par ses émissions liquides et toxiques l’eau de mer. Étant le point de rencontre de tous les canaux du village, une conduite d’évacuation des eaux usées, souterraine et à ciel ouvert, accueille gravats, déchets plastiques, excréments de chevaux, grosses pierres… À l’image d’un cycle infernal, l’égout déverse sans arrêt ses eaux à l’aide d’un tuyau qui mène jusqu’à la mer.
Telle une fosse septique, les eaux noircies déversées dégagent une odeur qui agresse les narines. Des habitations menacées de disparition La mer, elle, demeure et reste une menace réelle pour les habitations riveraines. Le domaine aménagé où s’exerçaient les activités sportives du quartier est annexé par les pirogues, soumises, elles aussi, aux mêmes risques. « Les entrainements de l’Asc Ndénatte dépendent de la mer. Si la marée est basse, les pirogues vont descendre d’un cran et l’équipe va s’entrainer. Sinon lors des marées hautes, les pirogues risquant de couler, vont reculer et occuper le terrain », explique Abdou Ndoye, assis sur une barque étroite. Sur la rive, des jeunes jouent au football sur un sol isostatique où on peut voir : résidus de poissons, tas de gravats, tasses de thé cassées décorant l’aire de jeu. Des images que l’on retrouve dans les quartiers de Ngaparou et Mbenguène.
Inévitablement, l’érosion du littoral se manifeste par une légère montée de la mer. Ce revers de fortune du secteur marin prononce lentement mais surement la disparition du littoral. Une situation qui produira inéluctablement des conséquences fâcheuses. À Dagoudane, le riverain, Ibra Guèye tire la sonnette d’alarme : « Parfois, nous avons des problèmes de respiration dus aux ordures amoncelées sur le sable marin. Le pire, c’est que ce sont les habitants du village qui déversent ces ordures. Ils doivent venir voir comment nous supportons cette odeur nauséabonde. Souvent, ce sont mes enfants et moi, munis de pelles et de râteaux, qui nettoyons. » Situé à une dizaine de mètres du littoral, la demeure du vieil homme subit en permanence les assauts de la montée des eaux de mer.
En guise de barricades, des montagnes de gravats sont entassés devant sa maison. De près, on perçoit le bruit des vagues qui viennent lécher la berge de l’Atlantique sur son habitation. Le desensablement pointé du doigt Présent depuis une trentaine d’années sur le site, Ousmane Guèye connait bien le mal du littoral.
Il pointe du doigt : « Le véritable problème est l’utilisation du sable marin. Cela favorise aussi l’avancée des eaux. Par exemple, l’usage de ce sable a atteint des niveaux tellement importants que lors des hautes marées, les vagues s’abattent sur ma maison, mais aussi sur toutes les habitations riveraines. » Avec le dépit, il ne tarde pas à débusquer les usagers du sable marin. Affichant un civisme à toute épreuve, il montre l’exemple. « Quand, je construisais ma maison, je pouvais prendre ce sable marin qui est à zéro mètre de chez moi. Hors de question ! Je suis allé acheter du sable ailleurs. Pourquoi mes amis Lébous ne feraient pas la même chose ? », se demande-t-il.
Fort d’une expérience dans le milieu pour avoir géré des cabanes à la plage de la Pointe des Almadies pendant 32 ans, le vieil homme vante les vertus d’un littoral sain : « Quand on est malade, on nous recommande d’aller à la mer pour prendre l’air. Lors des vacances, on se divertit à la plage. Le trésor de Yoff, c’est la mer. Alors ne le détruisons pas avec des ordures et préservons son sol. » Sur ce dernier point, il lance un appel à la mairie pour « la préservation du littoral ».
Babacar Guèye DIOP