Au septentrion du pays, sur cette rive ouest de son plus grand lac, la zone est connue comme un parcours de bétail fréquenté depuis la nuit des temps. La borne kilométrique implantée sur ce lieu au milieu de nulle part affichait : « Gnith 22km » d’un côté. Et sur son autre versant « Colonat 5 km ». Quelques encablures plus loin, un radier submersible se dessine, comme un guet qu’allègrement franchit la voiture avant de débouler sur le pont-barrage du village de « Yetti yoon » ou encore « Nietty yoon » (en wolof « les trois voies »). Nous sommes à Buntu baat (littéralement « la porte du gosier »).
À l’endroit exactement où a été coupée, par la volonté d’un puissant agro-industriel ayant pignon sur rue dans cet espace, la principale voie d’eau reliant le lac de Guiers au cœur de ce que fut le Ndiael alors réserve d’eau douce et zone humide qu’arpentaient, dans l’exubérance de leur diversité bariolée, les oiseaux venus des forêts boréales et autres glaciers du globe. Quand, en ce jour de dimanche de novembre 2012, nous arrivâmes justement à Nadiyel 4, hameau d’éleveurs peuls polarisé par l’installation, la réunion venait juste de prendre fin. Probablement, une des nombreuses qu’une des équipes du nouveau projet agro-industriel tenait à organiser pour faire baisser la tension après que (remake avec les dégâts et l’ampleur de la gravité en moins de ce que triste mémoire on a vécu à Fanaye), des altercations aient eu lieu, quelques jours auparavant ; opposant des citoyens réfractaires au démarrage du projet et une partie de la population qui y adhérait. L’ambiance sur les lieux a dû être à couper au couteau les jours d’avant. Les stigmates de ce fâcheux précédent étaient visibles à Nadiyel 4 où s’étaient retrouvés tous les chefs des 37 villages de la zone autour de celui qui était alors le sous-Préfet de la localité. Pour nombre de ces leaders communautaires comme ce conseiller rural qui a été le premier à nous parler, ce jour-là, ces enfreintes sur la biodiversité des écosystèmes agro-pastoraux sont synonymes d’un accès discriminant à la Terre : « Le cheptel de la Communauté rurale est à 90% dans la forêt de Ndiael. Ces troupeaux qui sont la raison d’être et l’unique moyen de subsistance des éleveurs que nous sommes, vivaient dans cette zone qui est la dernière zone d’élevage qu’avant les aménagements de cultures de contresaison nous pratiquions sur les berges du fleuve du côté de Gorom…
Il faut donc avant d’entreprendre quelque chose et décider de l’aménagement sur ce site de pâturage un projet de cette dimension nous associer, nous les éleveurs ». Une oreille attentive semble enfin et définitivement trouvée à cette complainte, s’il faut s’en référer au gage que constituent sur la question ces deux solennelles déclarations du Chef de l’État tenues, deux fois de suite, en 24 heures. Premièrement, sur la question de l’équité sociale au cœur de son action politique (en présidant au lancement à Koungueul du Projet de mobilisation des ressources en eau du bassin versant du Nianijia Bolong – Promoren). Et en second lieu, sur « l’amélioration de l’écosystème de l’élevage et la sécurisation des facteurs de production », un jour après, lors de la célébration de la Journée de l’élevage samedi à Kaolack…
Toutes choses qui vont se matérialiser dans la refonte envisagée de la Loi agro-sylvo-pastorale. C’est-à-dire de la Loasp qui devra définitivement répondre à cette sempiternelle doléance des éleveurs, au cœur d’une longue gésine pour compromis législatif abouti et apaisé. Et dont l’actualisation-consolidation, dans le sillage du nouveau Code pastoral (signé, par décret dans un contexte politique électrique, le 27 décembre 2023), devrait aussi et surtout, trouver les solutions idoines à de multiples contraintes auxquelles l’élevage pastoral est confronté comme la réduction de l’espace pâturable, la dégradation des ressources naturelles, l’annexion des espaces pastoraux stratégiques par d’autres activités économiques, la fermeture des pistes à bétail permettant d’accéder aux points d’eau, etc.
La gouvernance des zones à vocation agro-sylvo-pastorale dans un contexte de transformation systémique adossée aux pôles-territoires devant intégrer ces trois grands défis que sont : la promotion de l’intercommunalité comme levier visant à sécuriser la mobilité du bétail, tant à l’échelle nationale qu’au niveau régional ; l’élaboration de conventions locales permettant de prendre en charge la gestion des ressources partagées. Et enfin, la définition d’un code de conduite accepté par l’ensemble des usagers des ressources naturelles qui consolide les liens sociaux tout en habilitant des droits et des coûts d’accès formalisés, profitables aussi bien pour les agriculteurs autochtones que pour les pasteurs transhumants.