À la tête du diocèse de Mauritanie, Monseigneur Victor Ndione est à l’honneur cette année en tant qu’invité spécial de la 137e édition du pèlerinage marial de Popenguine. Figure discrète mais engagée, il revient, dans cet entretien, sur les missions singulières de l’Église mauritanienne, les défis d’un ministère en terre musulmane, le sens profond du pèlerinage marial et les récents événements qui ont marqué la vie de l’Église dans le monde et dans la sous-région.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours et votre mission en tant qu’archevêque du Diocèse de Nouakchott ?
Je suis né au Sénégal, j’ai étudié au grand séminaire, les différents grands séminaires que sont le grand séminaire de Brin et le grand séminaire de Sébikotane. J’ai été ordonné prêtre pour le compte du diocèse de Thiès en 2001. Moins de deux ans après mon ordination, j’ai été mis à la disposition de l’église de la Mauritanie, le diocèse de Nouakchott, où j’ai été envoyé en mission. Et depuis ce temps-là, je n’ai pas quitté le diocèse de Nouakchott, sauf pour des missions d’études. Et c’est ainsi qu’à la fin de la dernière mission d’études, l’évêque de Nouakchott étant arrivé à l’âge de la renonciation, il a présenté la renonciation au pape. Et figurez-vous, il a fallu presque quatre ans pour pouvoir trouver l’évêque actuel de Nouakchott que je suis. C’est donc dans ce contexte que je suis devenu, moi, Sénégalais, évêque du diocèse de Nouakchott, étant ainsi d’ailleurs, il faut le dire, le premier Sénégalais à être nommé évêque dans un autre pays que le Sénégal.
Vous êtes invité à célébrer la messe de la Pentecôte de cette année, coïncidant avec la 137e édition du pèlerinage marial de Popenguine. Comment avez-vous accueilli cela ?
Le pèlerinage marial ou sanctuaire national de Popenguine est d’abord un pèlerinage du Sénégal. Faisant partie de la même conférence, les évêques du Sénégal, en réunion à Dakar au mois de janvier dernier, m’ont adressé une correspondance pour m’inviter à présider la messe solennelle au lendemain de la Pentecôte. Et cela est un honneur pour moi. Je l’ai ainsi accepté. Mais, c’est aussi un défi, parce que ce n’est pas aisé de quitter un autre pays dans un autre contexte pour justement présider une messe aussi solennelle, un pèlerinage qui regroupe autant de personnes dans ce sanctuaire où convergent des dizaines de milliers de personnes. Je reçois cela comme un honneur. Mon diocèse reçoit cela aussi comme un signe d’estime et de solidarité, mais aussi comme un honneur. Et nous nous préparons actuellement, à Nouakchott, à venir le moment venu à Dakar, au Sénégal, à Popenguine précisément, pour participer à ce rendez-vous et vivre ce moment de foi avec tous les pèlerins qui arriveront à Popenguine. Nous avons souvent été à Popenguine, mais cette année, ce sera d’une manière toute particulière. Mais, c’est toujours dans la même démarche de foi que nous allons participer avec tous ceux qui viendront à Popenguine à ce pèlerinage. Nous vivons dans le contexte d’une église toute particulière, logée dans une République islamique, ce qui veut dire que tous les chrétiens sont des étrangers. Ces étrangers viennent du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Mali et d’ailleurs. Ils ont une culture et une vie ecclésiale avant d’arriver en Mauritanie.
Que signifie pour vous cette présence fraternelle d’une Église sœur au-delà des frontières ?
Quand j’ai répondu positivement à l’invitation de mes frères, les évêques du Sénégal, j’avais pensé qu’il s’agissait de moi-même et de venir célébrer une eucharistie à Dakar, notamment à Popenguine, et de retourner. C’est après que je me suis rendu compte, avec les échanges, que la tradition veut que l’évêque à l’honneur qui préside soit aussi accompagné de son diocèse.
Nous accueillons cela de deux façons. C’est d’abord une crainte, parce que vu le nombre de nos fidèles, il est difficile de répondre à toutes les attentes, mais de l’autre côté, nous accueillons cela comme étant un signe de solidarité, d’estime.
Quelle lecture pouvez-vous faire de la succession de tous ces événements dans l’église locale et mondiale au lendemain des récentes nominations depuis la vôtre à l’élection du nouveau Pape Louis XIV, en passant par l’archevêque de Dakar, l’évêque de Saint-Louis… ?
En revoyant la situation de nos églises ces deux dernières années, il me vient à l’idée de raviver à moi, mais aussi chez les chrétiens, la vertu de l’espérance, cette espérance dans la foi et dans la confiance. Pourquoi ? Il y a deux ans, après avoir fait une vue panoramique de l’épiscopat, nous nous sommes rendu compte, nous prêtres de l’époque, qu’à la tête des diocèses, principalement, il y avait des évêques qui allaient vers leur moment de renonciation, c’est-à-dire vers les 75 ans. Et nous nous sommes posé beaucoup de questions. Qu’est-ce que cela va devenir ? Certaines transitions ont pris du temps. Mais après tout cela, le Seigneur fait son Église. Il fait les choses avec son heure, à son heure. Nous devons rendre grâce et garder cet espoir et cette espérance en Dieu.
Et cette action de grâce arrive à son point culminant avec l’élection du pape Léon XIV. Une élection qui aujourd’hui prouve la présence de l’Esprit-Saint dans l’Église. Le conclave a été relativement rapide. Au bout de quatre tours, les cardinaux se sont entendus dans le vote sur une personne. En plus du conclave relativement rapide, le choix de la personne. Aujourd’hui, après la mort du pape François, beaucoup se sont posé la question que deviendra l’Église ? Parce qu’il faut le dire, le pape avait vraiment entraîné l’Église dans une voie de réforme qui pourrait être bénéfique, qui serait bénéfique d’ailleurs pour l’Église et pour le monde. Beaucoup se sont posé la question si le successeur serait dans la même dynamique que le pape François. Aujourd’hui, la réponse est claire. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que l’actuel pape a pris le nom Léon. En référence au pape Léon XIII, celui qui a vraiment ouvert la modernité à l’Église. Le pape de la nouveauté, l’une de ses encycliques, Rerum Novarum, était justement orientée vers les classes sociales. Le titre l’indique, les choses nouvelles. Rerum Novarum, les choses nouvelles, ça veut dire que c’était un pape innovateur. Et c’est cette innovation que nous avons sentie chez le pape François. Je suis persuadé qu’à sa façon, l’actuel pape poursuivra cette dynamique d’innovation.
Quels sont, Monseigneur, les défis majeurs auxquels les catholiques de la Mauritanie sont confrontés dans un pays islamique ?
Je voudrais préciser que le diocèse porte le nom de Nouakchott, même s’il est le seul diocèse de tout le pays, un pays qui a plus d’un million de kilomètres carrés. Partout où l’église est, elle est appelée à faire briller le visage du Dieu de bonté, de miséricorde, d’amour, de tendresse. À tous les peuples. L’église du Christ qui est en Mauritanie ne déroge pas et ne dérogera pas à cette règle. Cependant, pour répondre à cet appel, à cette invitation, à cette vocation, il y a des moyens à déployer, et ces moyens parfois font défaut en Mauritanie. Aujourd’hui, les clergés sont très réduits. Ce pays qui a plus d’un million de kilomètres carrés a comme clergé treize prêtres avec leur évêque. Donc c’est un sacré défi. Vous pouvez imaginer les distances à parcourir à la rencontre des fidèles, parce que tous les fidèles ne sont pas concentrés dans une région ou une ville. Quand je fais des visites pastorales, je parcours des kilomètres et des kilomètres.
Alors, tout cela fait qu’aujourd’hui, étant appelé à être père, je dois être père de tout cela. Prendre le temps de leur montrer cette proximité, prendre le temps de chercher à trouver les moyens autant humains que matériels pour la pastorale, mais aussi, et c’est un défi pour moi, prendre le temps de leur faire comprendre que l’Église n’est pas une île où les fidèles vivent séparés de l’ensemble qu’est la Mauritanie.
Donc entraîner les fidèles à garder un lien de fraternité avec les musulmans qui les entourent.
Quel message souhaitez-vous partager à tous ceux qui participeront à cette démarche de foi, qui vont se rendre aux pieds de Notre-Dame l’année prochaine ?
Il faut le vivre en étant des artisans de paix, d’abord. Ensuite, vivre ce pèlerinage en mettant aussi notre volonté d’éviter tout ce qui peut compromettre cette paix. Et ce qui peut la compromettre, c’est le manque d’espoir, le manque d’espérance. Vivre en homme et en femme d’espérance. Aux autorités, à ceux-là qui, justement, ont le devoir d’entraîner les pèlerins, d’entraîner les fidèles, d’entraîner leurs concitoyens dans cette paix, ils sont quelque part des pèlerins.
Même s’ils ne sont pas des pèlerins catholiques, ils peuvent être des pèlerins d’autres religions. Que tout pèlerin, quelle que soit sa motivation, place la paix au cœur de nos préoccupations. L’autre interpellation et l’autre message, en plus de vivre ce pèlerinage pleinement en homme et en femme de foi, c’est justement de repartir de Popenguine en gardant l’espoir et l’espérance qu’avec le Seigneur, tout est possible.
Entretien réalisé par Daouda DIOUF