L’ambassadeur du Soudan à Dakar, Abdelghani Elnaim Abdallah, est revenu, dans cet entretien avec « Le Soleil », sur la guerre civile qui mine son pays depuis avril 2023. Selon le diplomate, cette agression étrangère, menée par les miliciens des Forces de soutien rapide (Fsr) contre le gouvernement légitime du Soudan, vise à menacer la souveraineté du pays engagé dans la défense de sa sécurité et de son peuple.
Quelle est la situation sécuritaire après la prise de la capitale par l’armée soudanaise ?
Nous avons réussi à freiner une invasion étrangère mise en œuvre par les miliciens des Forces de soutien rapide (Fsr) soutenus par une puissance internationale. Les troupes gouvernementales ont repris le contrôle de la capitale. Seule une partie du Darfour et du Kordofan demeurent encore sous le contrôle des miliciens du Fsr. Ces miliciens terroristes ont pour ambition de prendre le contrôle des richesses du Soudan. Par ailleurs, le nouveau Premier ministre, M. Kamel Idris, ancien fonctionnaire international doté d’une grande expérience, s’est rendu récemment à Khartoum pour voir comment mettre en œuvre le programme de reconstruction de la capitale.
Vous dénonciez une agression extérieure que subit votre pays de la part des Fsr soutenues par des gouvernements étrangers. Réclamez-vous des sanctions de la communauté internationale contre ces pays qui soutiennent les Fsr ?
Nous déplorons le manque de réaction de la communauté internationale qui a une parfaite connaissance de l’origine des armes et des fonds qui alimentent les miliciens Fsr. Je pense qu’il est de la responsabilité du Conseil de sécurité des Nations unies, qui s’occupe de la paix et de la sécurité du monde, d’empêcher qu’une milice puisse détruire un État indépendant. Nous avons déposé une plainte devant le Conseil de sécurité, mais malheureusement, cette démarche n’a pas abouti. Nous continuons à lancer un appel à la communauté internationale et à l’Union africaine pour qu’ils fassent cesser cette agression.
Qu’en est-il des pourparlers de paix qui avaient été initiés à Djeddah et à Juba pour tenter de ramener la paix au Soudan ?
En mai 2023, nous avons conclu un accord avec les miliciens du Fsr. Après un mois, ils ont recommencé les attaques contre les forces gouvernementales et la population du Soudan. Concernant les accords de Djeddah, il était convenu que les miliciens libèrent les zones civiles, à savoir les hôpitaux, les bâtiments publics à Khartoum, mais ils ont refusé d’appliquer cet accord. Les miliciens manquent de crédibilité dans leur démarche. Ils se servent des négociations pour tenter d’obtenir des avancées sur le terrain militaire. Leur objectif ultime est de contrôler le Soudan. Sauf que le Soudan, c’est un pays qui a 7000 ans d’histoire et ne saurait se ranger derrière une seule famille et une seule tribu qui commet des crimes contre l’humanité et des violences dans tout le pays.
Se dirige-t-on vers le scénario libyen avec la création de deux gouvernements au Soudan après la signature, à Nairobi, d’une charte entre les paramilitaires des Fsr et leurs alliés, le 25 février dernier, pour l’administration de territoire sous leur contrôle ?
Je ne pense pas parce qu’ils n’ont même pas réussi à administrer Khartoum dont ils avaient pris le contrôle. Nous avons la Charte des Nations unies qui considère le Soudan comme un pays souverain. Je ne crois pas qu’ils pourront réussir à diviser le pays. Cependant, il y a certaines puissances qui essaient de diviser le pays pour mieux le contrôler. Mais, je pense que cette initiative n’a aucune chance de réussir. Nous comptons aussi sur les pays africains, pour que cette stratégie funeste ne puisse pas aboutir, car elle risque de créer un dangereux précédent pour d’autres États africains.
Le général Abdel Fatah al-Burhan, président du Conseil souverain de Transition au Soudan, a effectué une visite à Dakar le 13 janvier dernier. Sur le plan diplomatique, qu’attendez-vous réellement de l’État du Sénégal ?
Le président de la République (Ndlr : Bassirou Diomaye Faye) a confirmé le soutien du gouvernement et du peuple sénégalais pour un Soudan souverain et uni. Par ailleurs, j’aimerais remercier le Président, le Premier ministre et le président du Parlement, mais également tous les autres membres du gouvernement pour leur soutien sans faille durant cette crise. Ils ont réaffirmé leur soutien à diverses occasions bilatérales et multilatérales.
Qu’en est-il de la situation humanitaire au Darfour en proie à une résurgence des conflits intercommunautaires ?
Nous avons eu une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies en ce qui concerne Al-Facher, capitale du Darfour. Mais, jusqu’à présent, la ville est toujours encerclée par les miliciens et l’organisation internationale n’a pas cherché à faire appliquer la résolution. Nous cherchons à résoudre cette situation humanitaire qui est très difficile. Nous sommes en face de miliciens qui pillent les villes et entravent le travail des travailleurs humanitaires. La meilleure manière de ramener la paix et la sécurité au Darfour, c’est de couper les financements et l’appui logistique aux miliciens Fsr qui y sèment le chaos et le désespoir.
Le Sénégal peut-il être une source d’inspiration en matière de démocratie pour le Soudan ?
L’expérience du Sénégal en matière de démocratie peut être une source d’inspiration pour toute l’Afrique et le monde entier. Depuis les indépendances, le pays se distingue par sa démocratie marquée par une transmission pacifique du pouvoir. Nous sommes très satisfaits de pouvoir apprécier cette expérience d’évolution démocratique. Le Sénégal nous démontre qu’on peut avoir une démocratie viable avec des partis politiques, des médias et des élections qui se déroulent de manière pacifique.
Vous avez indiqué votre volonté d’œuvrer pour la création d’une agence africaine des médias. Pourquoi cette décision d’œuvrer pour la souveraineté médiatique africaine ?
Nous en avons besoin, car toute souveraineté débute par l’accès à l’information. Si on dispose de mauvaises informations en tant qu’Africain, nous ne pourrons pas prendre de bonnes décisions. Il est nécessaire que nous partagions les informations entre nous. Cela nous permettra de savoir ce qui se passe au Sénégal et vous saurez ce qu’il en est au Soudan. Aussi, il est primordial de favoriser la coopération entre les médias africains pour faire entendre la voix du continent dans un certain nombre de crises.
Allons-nous assister à une relance du processus démocratique au Soudan à la fin du conflit dans le pays ?
Absolument ! Nous avons prévu une période transitoire qui sera suivie d’élections au cours desquelles la population du Soudan va choisir un gouvernement. Nous n’avons pas d’autre choix parce que le peuple a indiqué son attachement au multipartisme. Mais, comme je l’ai dit, il y a certaines forces qui ne veulent pas de l’émergence de la démocratie dans notre pays.
Avez-vous prévu un calendrier pour ce retour de la démocratie ?
Je pense que cette tâche sera dévolue au gouvernement transitoire. Normalement, au Soudan, la période transitoire dure généralement une année et est souvent suivie d’une élection. Mais, après 2019, nous avons eu une période transitoire prolongée. Cela a entraîné beaucoup de problèmes. Cette fois-ci, nous espérons que ça ne sera pas le cas et que nous aurons une période transitoire raisonnable pour préparer les prochaines élections.
Le pouvoir politique au Sénégal met l’exergue sur la souveraineté. Est-ce une vision partagée avec le Soudan ?
Chaque pays voudrait être souverain dans divers domaines comme l’alimentation, la défense et la santé. C’est le désir du Sénégal et du Soudan qui cherchent à affirmer leur souveraineté. Cela ne veut pas dire que nous devons vivre en autarcie et que nous ne pouvons pas échanger sur le plan commercial avec les autres. Nous sommes parfaitement en phase avec le Sénégal dans cette volonté de souveraineté affirmée.
Propos recueillis Mamadou Makhfouse NGOM (texte) et Moussa SOW (photo)