L’ancien secrétaire général du Parti socialiste (1981-2000), Abdou Diouf, a porté haut le flambeau socialiste légué par son «mentor» et prédécesseur à la tête du parti, Léopold Sédar Senghor. Sa succession au sein de cette formation politique, marquée par le Congrès « sans débat » de mars 1996, reste cependant l’objet de vives polémiques.
On ne peut pas parler d’Abdou Diouf sans faire allusion au Parti socialiste (Ps), sa famille politique. Le successeur de Léopold Sédar Senghor au Palais de la République a dirigé ce parti de 1981 à 2000. Avec charisme et maestria, Abdou Diouf a conduit de main de maître la destinée de l’un des plus grands partis du Sénégal. Mais son histoire avec sa formation est jalonnée de rebondissements et de turbulences. Dès son départ du pouvoir en 2000, au profit de Me Abdoulaye Wade, l’ancien chef de file des socialistes s’est officiellement retiré de la gestion du Ps — et sans doute bien avant. Depuis le Congrès « sans débat » de mars 1996, Abdou Diouf s’abstenait en effet de se mêler des affaires du parti et de participer aux réunions du Bureau politique (Bp).
C’est le défunt Ousmane Tanor Dieng, d’abord premier secrétaire, puis élu secrétaire général lors du 14ᵉ Congrès ordinaire des 27 et 28 octobre 2007, qui prit les rênes du Ps. Pour certains, la volonté affichée de Diouf d’imposer Ousmane Tanor Dieng à la tête de la formation socialiste a précipité l’implosion du parti. En vérité, le Congrès « sans débat » de 1996 marque un tournant décisif. Cette rencontre, organisée à la Maison du parti, à Colobane, confia les destinées du Ps au natif de Nguéniène (département de Mbour) et provoqua le départ de plusieurs figures majeures. Djibo Leyti Kâ, ancien ministre de l’Intérieur sous Diouf, qui animait un « courant rénovateur » opposé à la « refondation » conduite par Tanor, avait déjà quitté le gouvernement le 15 mars 1995, à la surprise générale.
Mais c’est le Congrès de 1996 qui scella la rupture. Djibo Kâ claqua la porte du Bureau politique après vingt années de présence et fonda plus tard l’Union pour le renouveau démocratique (Urd), avec d’autres dissidents socialistes. Parmi les autres poids lourds ayant quitté le navire socialiste figurait Moustapha Niasse. Contrairement à Djibo Kâ, il fut exclu du parti. Le fait que Diouf ait confié les commandes du Ps à Tanor déplut à Niasse, qui, comme Djibo, revendiquait la légitimité de l’héritage senghorien. Écarté, l’ancien président de l’Assemblée nationale lança son Appel, le 16 juin 1999, et créa, avec d’autres dissidents, l’Alliance des forces de progrès (Afp).
Dans ses Mémoires, l’ancien député-maire Mansour Bouna Ndiaye résumait ainsi les fractures nées du congrès : « Les vrais problèmes commencèrent avec les grandes divisions issues du congrès sans débat qui installa Ousmane Tanor Dieng aux commandes du Ps, au détriment de responsables qui se sentaient plus légitimes. Djibo Kâ et Moustapha Niasse, deux poids lourds politiques, quittèrent le Ps. Le premier démissionna, le second fut exclu. Ils emportèrent avec eux de larges pans du parti ». Ce reproche continue, telle une cicatrice, de ternir l’image du legs socialiste de Diouf. La continuité de l’héritage senghorien Cependant, l’arbitrage opéré par Abdou Diouf trouve un écho favorable chez certains barons socialistes et analystes politiques.
Beaucoup saluent son choix de porter Ousmane Tanor Dieng à la tête du parti lors de ce fameux congrès. Même ses plus farouches détracteurs reconnaissent que Tanor a su maintenir à flot le navire socialiste et éviter son naufrage, malgré la perte du pouvoir en 2000. Malgré le départ de hauts responsables et la saignée causée par la transhumance vers le Parti démocratique sénégalais (Pds), Tanor a sauvé les meubles, empêchant l’implosion du Ps. Des figures comme Robert Sagna (Ziguinchor) et Mamadou Diop (Dakar) ont bien tenté de le pousser à la démission. En vain. Le 22 mars 2000, une partie du Bureau politique essaya de l’écarter.
Pis, une seconde tentative eut lieu après les législatives d’avril 2001, où les députés socialistes passèrent de 93 à 10. Là encore, échec. Tanor resta «intouchable», indéboulonnable. Aux yeux de nombreux militants, « il symbolisait la continuité de l’héritage senghorien ». Sobre, discret, modéré, il incarnait un leadership confirmé. Jusqu’à sa mort, le 15 juillet 2019, il fit face aux soubresauts d’une vie politique sénégalaise souvent décrite comme un marigot infesté de crocodiles, où seuls les plus forts survivent.
Ibrahima KANDE