Homme d’État et homme politique, intellectuel accompli et haut fonctionnaire international, Pr Amadou Makhtar Mbow, âgé de 103 ans, a quitté ce monde le mardi 24 septembre 2024 à Dakar. Les « Assises nationales » et la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) qu’il a présidées attestent de son engagement politique et citoyen permanent ainsi que de sa vie de combats pour le Sénégal, l’Afrique et l’humanité. Un an après la disparition de cette figure magistrale, ses combats et idéaux multiformes pour le redressement du Sénégal et l’émancipation des peuples, demeurent toujours d’actualité.
L’annonce du rappel à Dieu du Pr Amadou Makhtar Mbow, le mardi 24 septembre 2024, à Dakar, avait créé émoi, consternation et immense tristesse. La disparition du patriarche, très engagé au service de la République, de l’Afrique et des Nations unies et témoin privilégié de l’histoire politico-institutionnelle du Sénégal pré et postindépendant a constitué une immense perte pour notre pays, la classe politique, le système multilatéral onusien, le monde de l’éducation, de la science et de la culture.
En ce jour anniversaire de l’An I du décès de ce grand commis de l’État, ses amis de l’Institut Amadou Makhtar Mbow Icaji, par les voix de son président Ibrahima Eloi Sarr et Aïssatou Dia Ndiaye, se souviennent, dans une note, de cet « homme de dialogue attaché à la démocratie, à la justice sociale et à la souveraineté du Sénégal, également bâtisseur d’institutions et infatigable défenseur de l’éducation inclusive et des valeurs humanistes universelles de paix et de dignité des peuples unis et prospères ».
Selon eux, plus qu’un intellectuel, leur défunt parrain fut « un guide, un repère, une sentinelle de la vérité ». Aussi, ils ont réitéré leur engagement à « porter haut l’héritage du patriarche plein de sagesse pour que le flambeau continue de briller, que son histoire ne s’éteigne et que son nom soit à jamais gravé dans la mémoire collective ».
Selon l’historien Pr Abderrahmane Ngaïdé, « Amadou Makhtar Mbow était une réalité historique qui a traversé tout un siècle et qui a tant contribué à la construction du Sénégal et à la consolidation de la culture et dans l’éducation en Afrique et dans le monde entier, non pas en tant que chair, mais en en tant que pensée ».
Le fils de Fara Ndiaye Mbow et de Ngoné Kassé naquit un 20 mars 1921 à Ndialakhaar, un village situé dans l’arrondissement de Rao (Saint-Louis). Celui qui sera ultérieurement consacré par ses contemporains « trésor vivant » pour son immense contribution à la construction du Sénégal pré et postindépendant et à la consolidation de la culture et de l’éducation dans le monde entier a connu plusieurs vies.
Élevé dans la pure tradition familiale sénégalaise et imbu des valeurs positives ancestrales, ce musulman pratiquant était réputé sociable, généreux, fidèle en amitié et d’une grande disponibilité. D’une urbanité exquise, Amadou Mahtar Mbow, forte personnalité au visage radieux et au port vestimentaire raffiné, était l’incarnation parfaite de l’homo senegalensis conservateur certes, mais très ouvert au monde.
Après ses humanités à Louga et des études au « cours commercial » à Dakar, il réussit, en 1938, au concours de commis de l’administration coloniale.
Engagement permanent
Major de sa promotion, il est affecté « au bureau du courrier du gouverneur de la « Circonscription de Dakar et Dépendances », en qualité de commis local. Engagé volontaire à l’armée de l’air française lors de la 2e guerre mondiale, il rejoint l’École des radiotélégraphistes de Saint-Malo.
Le baccalauréat et une licence d’histoire à la Sorbonne, en poche, balisèrent la voie à l’ancien Secrétaire général de la Fédération des étudiants de l’Afrique noire francophone (Feanf) pour l’arène politique.
À son retour au pays, en 1951, le professeur d’histoire et de géographie d’alors, enseignant-chercheur émérite et auteur de nombreuses publications, entre en politique. Il adhère, en 1955, au Bloc démocratique sénégalais (Bds) de Léopold Sédar Senghor et devient le premier ministre sénégalais de l’Éducation nationale en 1956.
Membre fondateur du Pra-Sénégal nouvellement créé, seul parti légal de l’opposition après la crise de décembre 1962, il est nommé ministre de l’Éducation nationale en 1966, puis chargé de la Culture jusqu’en 1970.
Celui qui fut plusieurs fois ministre dans les gouvernements du Sénégal avant et après indépendance et consacré docteur honoris causa d’une cinquantaine d’universités va entamer une carrière internationale et accéder aux plus prestigieuses fonctions.
Nommé membre du Conseil exécutif de l’Unesco et représentant de la délégation sénégalaise en 1966, il y devint le représentant du groupe des États membres de l’Oua en 1970 pour être consacré directeur général de l’organisation. Reconduit pour un second septennat, le mandat fut abrégé en 1987.
Ce « grand Monsieur de ce monde » a légué des acquis portant sur le savoir, l’éducation, l’environnement, la sauvegarde du patrimoine culturel et le nouvel ordre mondial de l’information et de la communication, qui ont permis de donner un souffle nouveau à l’organisation onusienne.
Retiré au Maroc, Mbow revient dans le jeu politique sénégalais pour présider les « Assises nationales », vaste coalition de l’opposition, de mouvements citoyens et de technocrates qui s’oppose au régime de Me Abdoulaye Wade, puis la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) sous le régime du Président Macky Sall.
Deux jalons historiques de l’évolution politico-institutionnelle ultérieure du Sénégal dans sa marche vers la plénitude de la démocratie participative et le progrès citoyen où il mit son savoir, son expérience et son talent au service du redressement national pour la consolidation de l’État de droit laïc, uni dans sa diversité, dans une Afrique solidaire et ouverte sur le monde.
Durant toute sa vie, ce professeur émérite de classe exceptionnelle et intellectuel organique de renommée internationale, a été au service de la République, de l’humanité et des nobles causes.
Les « Assises nationales » et la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) qu’il a présidées attestent de son engagement politique et citoyen permanent ainsi que de sa vie de combats pour le Sénégal, l’Afrique et l’humanité.
Très respecté par la vieille garde politique et citoyenne comme par la nouvelle génération émergente qui voyait en lui une boussole, il aimait rassembler, appeler à l’union des cœurs et des esprits et prêchait toujours la bonne parole.
En outre, il avait le sens de l’écoute et était un esprit pétillant doublé d’un intellectuel averti des enjeux et réalités de l’heure.
Le souvenir et le legs fourni du défunt sage et sa pensée basée sur la science, la maîtrise de la connaissance et la volonté de la transmettre, resteront à jamais gravés dans la mémoire collective.
Mamadou Lamine DIEYE