Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, à l’occasion de la conférence «Jubanti Koom» (plan de redressement économique et social), qui s’est déroulée, hier, au Grand Théâtre, a appelé les Sénégalais à faire bloc derrière le gouvernement.
Il est des discours qu’on oublie en sortant de la salle. Et puis, parfois, il y a ces prises de parole qui marquent une inflexion, une ligne de crête, où la politique cesse de parler d’elle-même pour s’attaquer aux vérités crues du réel. Hier, alors que le Premier ministre Ousmane Sonko présentait le Plan de redressement économique et social du Sénégal, le président Bassirou Diomaye Faye a choisi de faire bien plus qu’un discours d’accompagnement. Il a clarifié. Non pas pour rectifier ou désavouer, mais pour endosser. Et en politique, l’acte n’est pas anodin. Depuis quelques jours, le pays bruisse de polémiques autour de la « dette cachée » : quelque 4.000 milliards de Fcfa, laissés en héritage, semble-t-il, par l’équipe sortante. En révélant cet état de délabrement économique, Ousmane Sonko s’est attiré une pluie de critiques.
Trop abrupt, trop alarmiste, trop « populiste », entendait-on déjà dans les salons feutrés de Dakar et sur les plateaux télé. Certains, trop pressés, y ont vu la première fissure dans l’édifice Diomaye-Sonko : l’un gouvernerait, l’autre dénoncerait. L’un arrondirait les angles, l’autre manierait le marteau. La petite musique d’une « cohabitation de fait » commençait à s’écrire. Et c’est précisément cette petite musique que le président a fait taire. Devant les Sénégalais, Bassirou Diomaye Faye a pris le contre-pied du procès en désunion. « C’est moi qui ai pris la décision de dire la vérité aux Sénégalais », a-t-il asséné, comme un coup de tampon présidentiel sur la franchise affichée du Premier ministre.
Une manière de dire : ici, il n’y a pas de double langage, pas de division des rôles. Juste une volonté commune de faire face. Ensemble. Mais cette clarification va plus loin qu’un simple exercice d’alignement politique. Elle dit quelque chose de l’idée qu’ils se font du pouvoir : non pas un théâtre d’apparences, mais une exigence de vérité. Dans un pays fatigué des promesses ajournées, ce choix du parler-vrai résonne comme une rupture. « Nous ne voulons pas gouverner dans le mensonge », martèle Diomaye. Il y a là, chez lui, une forme d’austérité morale – presque stoïque – qui tranche avec les accents triomphalistes d’hier. Ce tandem, on le sait, n’est pas ordinaire. L’un, taiseux, presque ascétique. L’autre, tribun impétueux au verbe tranchant. Ensemble, ils incarnent un espoir.
Et désormais, une méthode. Celle d’un partage du pouvoir assumé, transparent, où l’exécutif avance à deux voix mais d’un même pas. Le sourire d’Ousmane Sonko, à l’issue du discours présidentiel, n’était pas seulement celui d’un homme publiquement soutenu. Il disait plus profondément la cohésion stratégique d’un projet de refondation. Car il ne s’agira pas seulement de dire la vérité. Il faudra aussi réparer, réformer, bâtir. Et vite. Dans un pays où le taux de chômage frôle les 20 %, où la jeunesse désabusée rêve d’ailleurs, le temps ne joue pas pour les idéalistes. Mais il y a, dans la scène d’hier, un signal adressé au pays entier. Un signal simple, presque naïf : nous sommes là pour redresser, et non pour régner. « Nous sommes des hommes d’honneur que le contact du pouvoir ne changera pas », lance Diomaye. Le propos peut faire sourire, tant l’histoire regorge d’idéaux emportés par le vertige du pouvoir. Mais s’il faut juger un régime à ses premiers gestes, celui-là, pour l’instant, commence par l’essentiel : dire où l’on est tombé, avant d’expliquer comment se relever.
Le pari est immense. Il faudra remettre l’économie sur les rails, assainir les finances publiques, restaurer la confiance des partenaires, mobiliser les énergies locales. Bref, faire mentir le fatalisme ambiant selon lequel « rien ne change jamais ». Mais si ce que nous avons vu cette semaine n’était pas seulement un exercice de communication ? Et si, au fond, ce duo si improbable portait en lui une chance inédite : celle de réconcilier le pays avec sa propre vérité ? À l’heure des slogans creux, où les discours politiques servent souvent à occulter plutôt qu’à révéler, on ne peut que saluer cette audace de la clarté. Le pouvoir, dans cette « nouvelle » République, n’est pas encore devenu une forteresse. Il parle encore. Il s’explique. Il assume. Il faudra que cela dure.
Par Sidy DIOP