Le président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, Bruno Fuchs, revient sur la nécessité de rebâtir de nouvelles relations bilatérales entre la France et le Sénégal. Selon le député, le départ des Éléments français du Sénégal doit être le prélude d’un nouveau partenariat basé sur l’égalité, la souveraineté et la quête d’intérêt commun.
Pensez-vous que le départ des Éléments français du Sénégal (Efs), le 18 juillet dernier, va inaugurer un nouveau chapitre dans les relations entre la France et le Sénégal ?
Oui, je le crois. Mais, pour qu’il soit réussi, il demande à ce que nous l’écrivions tous ensemble. C’est un chapitre qui recherchera d’abord un chemin vers l’égalité et la souveraineté. Ce chemin devra être fondé sur l’intérêt commun, le respect mutuel, un dialogue vrai et continu. Il devra lever toutes les ambiguïtés et les blessures du passé. Pendant trop longtemps, des malentendus et des asymétries ont pesé sur la relation entre nos deux pays ; ce que j’ai appelé « irritants » dans mon rapport parlementaire. Mais, une nouvelle dynamique peut se mettre en marche. La France a fait sa part avec des gestes concrets : sortie de la gouvernance du franc Cfa, restitution des emprises militaires… Ces décisions ne soldent pas le passé, mais elles traduisent une volonté commune : celle de dépasser les héritages encombrants, de tourner la page des soupçons pour écrire celle d’un partenariat franc, exigeant. Ce partenariat sera fondé non plus sur la mémoire conflictuelle, mais sur une ambition partagée vers l’avenir. Le moment est venu pour les dirigeants des deux pays d’imaginer un lien nouveau, audacieux et équilibré, à la hauteur des défis de notre temps. Il ne s’agit pas seulement de refonder une relation bilatérale, mais d’ouvrir ensemble un horizon pour l’Afrique tout entière.
Cependant, ce ne sont ni les discours ni les symboles qui jugeront de la profondeur de cette transformation. Ce sont les jeunesses sénégalaise et française, celles qui, des deux côtés, aspirant à la dignité, à la mobilité, à la reconnaissance, à l’emploi et à l’avenir, seront les véritables actrices de ce nouveau projet.
Selon vous, quels doivent être les piliers du partenariat bilatéral renouvelé franco-sénégalais ?
Un partenariat renouvelé exige de la responsabilité et de la volonté politique de part et d’autre. Rien ne se fera sans courage. Il faut convaincre nos opinions publiques -parfois réticentes quand ce n’est pas hostile- sur le potentiel de ce nouveau partenariat et régler certaines questions pour avancer. Je pense surtout à celle des mobilités qui est fondamentale. Ensuite, la nouvelle page qui nous revient d’écrire ensemble doit reposer, à mon sens, sur quatre piliers qui sont d’abord la responsabilité politique partagée pour affronter ensemble les défis globaux, ensuite la mobilisation de la société civile dans la mesure ou notre relation n’est plus fondée sur la proximité politique ou la présence militaire. En effet, il appartient désormais aux communautés d’intérêts de prendre le relais et d’animer, avec intensité, la relation entre nos pays, à savoir dans l’enseignement, le sport, l’entrepreneuriat, la culture, les sciences et, bien sûr, l’économie. Puis, l’écoute et l’engagement envers la jeunesse nous diront si cette nouvelle relation répond concrètement à ses attentes. Et enfin, une Francophonie repensée. Le Sénégal doit prendre une place centrale, sa vraie place, dans cet espace vivant de projets et de circulation des idées. Un espace de droit, de liberté, de respect, de souveraineté et d’avenir.
Quel rôle peut jouer la diplomatie parlementaire dans ce processus ?
La diplomatie parlementaire va jouer un rôle central, car elle est la voix des représentants de nos deux peuples. Contrairement aux canaux diplomatiques classiques, elle part du terrain, des réalités concrètes, des attentes exprimées dans les familles, les lieux de travail, les quartiers. Nous, parlementaires, sommes en première ligne. Nous connaissons les espoirs, les attentes, les blocages, mais aussi les leviers d’action. C’est pourquoi je suis convaincu que ce sont les Parlements qui peuvent porter mieux ce nouveau partenariat entre la France et le Sénégal. Pour ma part, je suis toujours en mission sur le terrain. Je viens très régulièrement au Sénégal, au moins cinq fois par an, pour rencontrer la société civile, les diasporas, les acteurs culturels ou encore le coach des champions d’Afrique. Cette diplomatie des peuples est souple, directe, connectée. Elle crée des liens humains et propose des solutions concrètes. Elle ne s’embarrasse pas des blocages que pourraient rencontrer les exécutifs. C’est dans cet esprit qu’avec mon homologue sénégalaise, Mme Fatou Cissé Goudiaby, présidente de la Commission des Affaires étrangères, nous avons lancé une initiative inédite. Nous voulons créer une mission conjointe, formée de députés sénégalais et français, pour définir le chemin vers ce nouveau partenariat qui devra être fondé sur l’égalité et la souveraineté. Notre responsabilité est claire : faire vivre ce partenariat non depuis Paris ou Dakar, mais à partir des réalités concrètes de nos concitoyens.
La réorientation de la diplomatie française vers les pays anglophones signifierait-elle un désintérêt pour l’Afrique francophone ?
Je ne pense pas qu’il y ait un désintérêt ; il s’agit plutôt d’une adaptation naturelle aux réalités économiques mondiales. Cette réorientation répond à la nécessité pour la France comme pour les pays africains d’aller vers des marchés dynamiques, d’attirer de nouveaux investissements et de bâtir des coopérations plus diversifiées. Elle traduit moins un repli qu’un élargissement stratégique. D’ailleurs, les pays d’Afrique francophone, eux-mêmes, multiplient les partenariats en Asie, dans le Golfe, en Amérique latine ou encore avec la Russie ou la Türkiye. La France ne peut que s’inscrire dans cette logique de diversification, mais à condition d’être capable de renouveler en profondeur la relation avec ses partenaires historiques. Et c’est ce qu’elle n’a pas su faire jusqu’à présent.
Par ailleurs, l’avenir passe aussi par de nouvelles synergies entre les espaces linguistiques. En Afrique, le clivage entre francophone et anglophone ne reflète plus les dynamiques culturelles ou économiques réelles. L’usage du français ou de l’anglais y est souvent technique, administratif, mais ne dit rien des identités multiples ni des logiques de coopération régionale. En Afrique de l’Ouest, par exemple, les relations économiques, les projets d’intégration ou les initiatives citoyennes dépassent largement la question de la langue qui devient, en définitive, secondaire. S’ouvrir à d’autres partenaires, c’est aussi favoriser l’émergence de nouvelles dynamiques africaines, transversales, connectées et affranchies des cloisonnements hérités.
Y a-t-il un risque que la diplomatie économique l’emporte sur la bonne gouvernance et la démocratie ?
Nous l’avons vu avec l’administration Trump : les relations internationales peuvent très vite se réduire à une logique purement économique, au détriment des principes démocratiques ou humanitaires. Ce modèle transactionnel, déconnecté des questions de gouvernance et démocratiques, ne peut pas être celui de la France. Il n’en est non plus de celui du Sénégal. Il est temps de redéfinir clairement la nature de nos relations politique avec l’Afrique. Et cela suppose d’adopter une « juste distance » et une coopération respectueuse des souverainetés nationales et locales. Pendant des décennies, la France a parfois été perçue comme intrusive. Aujourd’hui, une nouvelle voie s’ouvre et je crois profondément que le Sénégal peut y jouer un rôle moteur. Par sa tradition démocratique, son panafricanisme assumé et sa voix forte sur la scène internationale, le Sénégal peut aider la France -et même l’Europe- à tracer une relation nouvelle. Ce que nous devons inventer ensemble, c’est une troisième voie : une proximité politique fondée sur le respect mutuel, la co-construction et des valeurs partagées. Il faut tourner la page de toute forme de néocolonialisme, qu’il soit politique, économique, judiciaire ou culturel. L’Afrique n’a pas besoin de tuteur. Elle a besoin de partenaires solides, engagés, capables de croire en ses choix et avec lesquels elle partage une même vision de la société dans laquelle elle souhaite voir ses enfants grandir. C’est dans cette nouvelle voie d’égalité, de souveraineté et d’une vision du monde partagée que nos deux peuples doivent s’engager. C’est ma conviction et celles de nombreux de mes amis au Sénégal.
Propos Mamadou Makhfouse NGOM