Plusieurs centaines de Sénégalais se sont lancés dans les élections législatives anticipées du 17 novembre prochain. C’est dire que la fonction de député est de plus en plus convoitée. Mais, si certains sont attirés par la quête du pouvoir, d’autres sont réellement mus par la volonté de servir.
Ce sont 41 listes retenues pour les élections législatives anticipées du 17 novembre prochain. C’est dire donc que plusieurs centaines de Sénégalais vont briguer le suffrage de leurs concitoyens pour faire partie des 165 députés qui vont constituer la 15e législature. La question de savoir si les candidats sont davantage animés par l’attrait du pouvoir et des privilèges ou une réelle volonté de représenter le peuple et de répondre à ses attentes n’est pas saugrenue.
Pour le Dr Salif Sané, enseignant-chercheur en Droit public à l’Université Gaston Berger (Ugb), et Pape Ousmane Thiaw, doctorant en Science politique à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad), les motivations des candidats sont variées, oscillant entre l’attrait du pouvoir et les privilèges qu’il procure et une réelle volonté de servir le peuple. Dans un contexte où le rôle de parlementaire offre une rémunération confortable, des avantages matériels et un accès à des réseaux d’influence, il devient difficile, selon eux, de ne pas remarquer une montée de l’opportunisme dans le champ politique sénégalais.
Il est indéniable que la fonction politique, notamment celle de parlementaire, offre des privilèges substantiels. Ceux-ci incluent une rémunération confortable, un certain prestige et des avantages matériels (passeport diplomatique, bons de carburant, véhicule de fonction…). Pape Ousmane Thiaw fait remarquer que la fonction politique attire de plus en plus de personnes issues de milieux entrepreneuriaux et d’affaires ; ce qui témoigne de l’utilisation stratégique de la politique comme levier pour renforcer des intérêts privés et faire avancer un agenda personnel.
En effet, bon nombre de ces acteurs semblent davantage motivés par la perspective d’accéder à des positions de pouvoir, synonymes de privilèges économiques et sociaux. Le doctorant en Science politique a également souligné l’existence des « partis télé-centres » qu’il qualifie de « formations politiques éphémères créées uniquement pour survivre le temps d’une élection ou s’allier à une coalition gagnante dans le but de bénéficier d’une part de pouvoir ».
Vocation
Cependant, réduire l’engagement politique à une simple quête de privilèges serait simpliste. Selon le Dr Salif Sané, il existe également des candidats profondément engagés, motivés par la volonté de représenter le peuple et de répondre à ses attentes. Ces derniers sont souvent porteurs d’idéologies et de causes spécifiques, telles que la lutte pour la justice sociale, la défense des libertés individuelles ou encore la protection de l’environnement. Ces candidats voient la politique comme une vocation, un moyen de changer la société et d’améliorer les conditions de vie des citoyens.
La fonction parlementaire comporte aussi des réalités éprouvantes souvent méconnues ou sous-estimées. Elles vont de la pression médiatique constante aux compromis permanents en passant par de pesantes responsabilités. Selon le docteur en Droit public, « en plus de constamment composer avec les critiques de la presse et de l’opinion publique, les parlementaires sont soumis à la rédaction des lois, la supervision de l’action du gouvernement, l’évaluation des politiques publiques et la représentation des citoyens ». « Des missions cruciales qui exigent du temps et de l’énergie », assure Salif Sané. Poursuivant, il précise : « Les parlementaires sont souvent amenés à faire des concessions dans les négociations politiques avec les groupes parlementaires ; ce qui peut créer un fossé entre leurs intentions initiales et leurs actions une fois élus ».
Néanmoins, MM. Sané Thiaw admettent que la frontière entre ambition personnelle et service public est souvent floue. D’après l’enseignant-chercheur à l’Ugb, beaucoup de candidats accèdent au pouvoir dans l’espoir de peser sur les réformes, mais ils finissent par se retrouver dans une dynamique de compromis politique qui peut parfois les éloigner de leurs idéaux initiaux. « Les mécanismes électoraux et les alliances politiques imposent souvent des stratégies pragmatiques où l’intérêt personnel prend parfois le dessus sur la volonté de représenter fidèlement les électeurs », soutient ce spécialiste en science politique.
Compromis
Les experts concluent en notant que le système politique sénégalais, avec ses règles du jeu électoral et la nécessité de nouer des alliances, incite à des comportements plus stratégiques qu’altruistes. « La volonté de représenter le peuple, ce n’est pas toujours la seule volonté qui compte pour les listes. Le plus souvent, c’est pour faire avancer un agenda personnel et cela fait partie des effets pervers de la démocratie », regrette le politiste. Il renchérit : « Cette réalité engendre une perception selon laquelle la fonction de parlementaire, bien qu’essentielle pour la démocratie, est parfois détournée pour servir des intérêts privés au détriment de l’intérêt général ».
Le débat sur les motivations des candidats aux élections législatives du 17 novembre 2024 reste complexe. Entre quête du pouvoir et désir sincère de servir, la politique sénégalaise reflète une diversité d’ambitions et de réalités, rendant nécessaire une réflexion plus profonde sur les mécanismes qui régissent les engagements politiques dans le pays.
Tafsir Khaly SARR (Stagiaire)
Le cahier des charges des citoyens
Plusieurs Sénégalais sont engagés dans les élections législatives anticipées du 17 novembre prochain. Certains citoyens donnent leur point de vue sur cet attrait.
Les législatives du 17 novembre 2024 au Sénégal, avec 41 listes en lice, reflètent plusieurs dynamiques politiques et sociales qui poussent un grand nombre de personnes à se porter candidates pour devenir députés. Cet attrait par rapport à la fonction de député interpelle le citoyen lambda. Au marché Tilène, où l’ambiance est bruyante avec le brouhaha constant des commerçants appelant les clients et les négociations animées, Bathie Diop, commerçant, estime qu’ « il y a trop de problèmes dans ce pays et que l’on a besoin de députés qui représentent vraiment les gens comme [eux] ». Il ajoute : « C’est bien que plusieurs personnes se présentent ; cela donne plus de choix ».
Être député au Sénégal est un poste de pouvoir. Il offre une certaine stabilité financière, une visibilité sociale et politique. Pour certains, cela peut être une motivation personnelle, d’autant plus que le poste permet d’avoir une influence sur les politiques publiques et d’accéder à des réseaux de pouvoir. Les députés bénéficient aussi d’autres privilèges, notamment des indemnités élevées et d’avantages matériels qui attirent les candidats. « Les députés gagnent beaucoup d’argent, c’est pourquoi tout le monde veut se présenter. Mais, pour moi, peu importe le nombre de listes, je veux juste quelqu’un qui va vraiment défendre nos intérêts », déclare Ibou Laye, chauffeur de taxi à la gare de Fann Hock. L’étudiant Alphonse Tine semble plus nuancé. Ce pensionnaire de l’Université Cheikh Anta Diop au regard vif et amical, rencontré à la place de la Nation, pense que « beaucoup veulent devenir députés pour avoir du pouvoir et de l’argent ». Toutefois, il pense que « certains veulent vraiment améliorer les choses ».
À l’image d’Oumou, une vendeuse de poissons au marché Gueule Tapée, certains Sénégalais s’attardent un peu sur le traitement salarial des députés. Et pour cause ! « Nous vivons dans un pays où les députés qui sont censés nous représenter ont des privilèges énormes. Pendant ce temps, le citoyen lambda peine à joindre les deux bouts. Comment justifier un salaire aussi élevé alors que de nombreuses familles n’ont même pas accès à des services sociaux de base comme l’éducation et la santé ? », s’interroge cette quinquagénaire.
Les députés assument une responsabilité importante ; leurs avantages sont nécessaires pour leur permettre de se concentrer pleinement sur leur mission sans se soucier de leur situation financière. Les conditions de travail, telles que les nombreuses sessions parlementaires et les déplacements, peuvent justifier ce niveau de compensation. C’est ce que défend Malick, un fonctionnaire à la retraite. « Il est vrai que les députés ont des avantages, mais ils ont aussi un travail difficile et important. Le fait d’être constamment sollicité et celui de devoir représenter des milliers de personnes méritent un niveau de compensation. Mais, il est vrai que ces privilèges ne devraient pas être exagérés », argue-t-il.
Des personnes souhaitant devenir députés sont animées par un désir sincère d’influencer les lois et les politiques nationales, surtout dans les domaines sensibles comme l’éducation, la santé et l’économie. « Il y a tellement de problèmes dans notre système de santé. J’aimerais que les nouveaux députés mettent, enfin, en place des réformes pour améliorer les conditions dans les hôpitaux », explique Safiétou, infirmière à l’hôpital Abass Ndao.
Tafsir Khaly SARR
Un député simple gagne 1,3 million de FCfa
Comparés aux autres élus de la République, les députés sont relativement bien traités. Selon une source parlementaire, le député simple gagne un salaire de 1,3 million de FCfa. La source qui préfère s’exprimer sous le couvert de l’anonymat explique que tous les membres du Bureau ont un salaire tournant autour de 2 millions de FCfa. En plus du président qui a un traitement spécifique, le Bureau de l’Assemblée nationale est constitué de huit vice-présidents, six secrétaires élus et deux questeurs. Il faut également relever qu’il y a les groupes parlementaires qui ont un président et un vice-président, mais aussi les commissions qui ont, chacune, un président et un rapporteur.
Tafsir K. SARR (Stagiaire)
IMMUNITÉ ET RETRAITE PARLEMENTAIRES
Ces privilèges et avantages liés à la fonction de député
La fonction de député souffre d’une image négative qui en fait un métier de privilégiés au cœur de notre République. De ce fait, l’adoption d’une pension de retraite des anciens députés et l’immunité parlementaire viennent conforter cet imaginaire populaire.
La fonction de député, au regard de l’opinion publique, est un placard doré de la République avec son lot de privilèges et d’avantages. Dans un contexte pré-électoral, les députés de la 14e législature, réunis en séance plénière le mardi 19 mars 2024, à l’Assemblée nationale, ont adopté, sans débat et à l’unanimité, le projet de loi portant mise en place d’un système de retraite pour les parlementaires. Cet exemple ne semble pas contredire cette assertion. La loi indique désormais que le taux de la pension normale est de 75 % du montant de l’indemnité législative du député en cours de mandat lorsqu’il aura effectué au moins deux mandats et de 70 % du montant de l’indemnité législative pour le député ayant effectué un seul mandat.
Pour son effectivité, la loi portant mise en place d’un système de retraite a été soumise à l’approbation du président de la République qui l’a promulguée avant sa publication au Journal officiel le 20 avril 2024. En outre, si on connait les personnes bénéficiaires, la date d’entrée en vigueur, les montants des cotisations et des pensions ainsi que leurs modalités de revalorisation ne sont toutefois pas précisés.
En plus de s’être octroyé une pension de retraite, le député dans l’exercice de son mandat jouit de l’immunité parlementaire. Un privilège juridiquement encadré par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale en ses articles 51 et 52. La loi organique portant règlement intérieur dispose en son article 51 qu’ « aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». En outre, il est « couvert par l’immunité à compter du début de son mandat qui prend effet dès la proclamation des résultats de l’élection législative par le Conseil constitutionnel ». Cependant, le député « pris en flagrant délit ou en fuite, après la commission des faits délictueux, peut être arrêté, poursuivi et emprisonné sans l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale ».
Mamadou Lamine DIÈYE
Le Parlement, la voix « souveraine » du peuple
L’Assemblée nationale a été consacrée par la Constitution du Sénégal, en son article 59, comme l’unique détenteur de la souveraineté nationale qu’elle exerce au nom du peuple. La représentation nationale forme le pouvoir législatif dont la mission est de faire la loi, de contrôler l’action du gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Elle peut provoquer la démission du gouvernement par le vote d’une motion de censure. Elle répond, à la fois, à une organisation politique (le Bureau de l’Assemblée nationale, la Conférence des présidents) et administrative (la questure, le Secrétariat général et les services). Elle dispose aussi d’outils de contrôle de l’action du gouvernement (ensemble des procédures par lesquelles les députés examinent, discutent, surveillent et contrôlent les actes). La législature est la période durant laquelle l’Assemblée nationale exerce ses pouvoirs. Sa durée court de son installation à l’expiration de son mandat, soit une durée normale de cinq ans, sauf imprévu. Selon l’article 2 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Par conséquent, être député, ce n’est pas un métier ni une fonction (il est élu, pas nommé par une autorité extérieure), mais c’est exercer un mandat (fonction de représentativité). M. L. DIÈYE