Malgré son engagement politique, Cheikh Anta Diop n’a jamais accédé au pouvoir, choisissant souvent de rester en retrait. En témoigne sa décision de renoncer à son mandat de député en 1983, une démarche marquée par une vive dénonciation des « fraudes » survenues lors des élections générales de la même année.
L’une des formules favorites de Cheikh Anta Diop, qu’il répétait souvent vers la fin de sa vie, soulignait que ni lui ni ses partis politiques successifs « n’étaient intéressés par le pouvoir pour le pouvoir ». Par ces mots, il affirmait son indifférence aux « délices et poisons » associés à la toute-puissance étatique. C’est dans ce cadre qu’il a démontré l’ampleur et l’originalité de son engagement politique. En effet, en 1958, l’effondrement de la Quatrième République française, après la défaite de Dien Bien Phu, la résistance algérienne et la montée en puissance du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) et d’autres mouvements anticolonialistes, a marqué un tournant. Cette crise a ouvert la voie au retour au pouvoir du général Charles de Gaulle. Cependant, « cette évolution inattendue allait imposer une révision radicale de la politique coloniale de la France en Afrique. Un comité ad hoc fut créé pour rédiger l’avant-projet de la Constitution de la future Cinquième République, devant être soumis à référendum. Quelques élus africains de l’ancien empire devenu l’«Union française » furent conviés à y participer », raconte Dialo Diop dans son article scientifique « Témoignage : Le legs politique de Cheikh Anta Diop et les défis contemporains », publié en septembre 2023.
Pressenti pour rejoindre ce comité, Cheikh Anta Diop a refusé catégoriquement, estimant qu’on ne pouvait pas lui demander de participer à « une réflexion sur la meilleure manière de ligoter et asservir son propre peuple ». Ce rejet contrastait avec la position des députés Félix Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor, qui acceptèrent de siéger dans le comité et, au lendemain du référendum du 28 septembre 1958, occupèrent des postes de ministres ou secrétaires d’État dans le premier gouvernement de Gaulle. Ces deux hommes deviendront respectivement présidents des républiques de Côte d’Ivoire et du Sénégal en 1960.
Il est important de rappeler qu’après sa soutenance de thèse mémorable le 9 janvier 1960, et son retour immédiat au Sénégal, avec l’intention de contribuer à la formation des cadres et à la recherche scientifique, Cheikh Anta Diop, homme de pédagogie, fut privé de son poste d’enseignement pendant vingt ans. De plus, il fut brièvement emprisonné en 1962, victime d’une manœuvre partisane dans un contexte électoral tendu.
Toujours selon Dialo Diop, l’égyptologue sénégalais résista également aux offres pressantes du président Senghor, qui lui proposait de rejoindre son régime en échange d’une large représentation de ministres et de députés, à condition qu’il renonce au programme de son propre parti et accepte de le dissoudre au sein de l’Union progressiste sénégalaise (Ups).
Après la légalisation du Rnd en 1981, l’attitude de Cheikh Anta Diop lors des élections générales de 1983 reste un acte emblématique de son engagement. Le Bureau politique a opté pour une stratégie d’abstention à l’élection présidentielle, tout en appelant la majorité parlementaire à soutenir le parti. Cette approche visait à démontrer que le changement de politique pouvait passer par le Parlement plutôt que par un président unique. Cependant, le scrutin fut marqué par une circulaire autorisant le vote avec simplement la carte d’électeur, ce qui facilita des fraudes massives. Face à cette situation, le RND dénonça le processus électoral comme une « non-élection » et refusa de siéger à l’Assemblée nationale.
Cheikh Anta Diop, seul élu de son parti, choisit finalement de ne pas prendre son siège. Il justifia cette décision en expliquant que son geste visait à « protéger la démocratie et à sauver les mœurs électorales » du pays. En 1984, il démissionne de son mandat, soulignant que sa démarche était un respect envers les militants et un rejet des élections manipulées.
Salla GUEYE