À l’approche de la fête nationale française, l’ambassadrice de France au Sénégal revient sur la coopération bilatérale, les perspectives économiques, les dossiers sensibles, comme les visas ou la fermeture des bases militaires, et balaie les rumeurs de son départ prochain. Christine Fages insiste sur la nécessité d’un partenariat équilibré, fondé sur des intérêts communs et le respect mutuel.
Le 14 juillet, jour de la fête nationale française, approche. Quelle signification particulière revêt cette célébration, notamment dans le contexte des relations franco-sénégalaises ?
Pour nous, c’est le génie sénégalo-français. Depuis deux ans que je suis là, je constate que, lorsque les Sénégalais et les Français travaillent ensemble, il se crée des choses intéressantes pour la France, pour le Sénégal, pour les populations françaises et sénégalaises, ainsi que pour les citoyens que nous avons en commun. Comme vous le savez, nous avons beaucoup de citoyens en commun. Donc, pour nous, cette célébration est placée sous le signe des initiatives communes que nous prenons dans tous les domaines.
Vous évoquez les initiatives communes. À ce sujet, les présidents Bassirou Diomaye Faye et Emmanuel Macron se sont récemment rencontrés à Séville. Quels ont été les grands axes de leur discussion ?
C’était une rencontre importante puisqu’il s’agissait d’une réunion sur le développement et le financement du développement. Ils ont évidemment parlé des nouvelles manières de travailler entre la France et le Sénégal. Ils ont également abordé les défis communs auxquels nous faisons face, tels que le réchauffement climatique ou encore les menaces terroristes.
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, certains évoquent une rupture et une redéfinition des relations franco-sénégalaises. En tant qu’ambassadrice, comment percevez-vous cette évolution ?
Je suis l’ambassadrice de la France au Sénégal. Mon avis, c’est que la France et le Sénégal ont beaucoup de choses en commun. Ils peuvent collaborer sur des sujets d’intérêt commun, des intérêts stratégiques partagés. Ils sont plus forts lorsqu’ils travaillent ensemble. Le Premier ministre Ousmane Sonko a reçu le directeur général de Bpifrance il y a deux jours. La question portait sur la manière dont le secteur privé, les entrepreneurs de France et du Sénégal peuvent s’organiser pour travailler ensemble, et sur la façon dont le Sénégal peut soutenir ses entrepreneurs, afin que le secteur économique joue pleinement son rôle dans l’évolution du pays, tout comme dans celle de la France. « Inspire & Connect », l’événement que nous avons organisé mardi dernier, a réuni 1500 entrepreneurs, des membres de la société civile et des décideurs. Il y avait les ministres de l’Agriculture et de l’Industrie, mais aussi le ministre du Plan de la Guinée, ainsi que d’autres représentants de la région. L’objectif était de réfléchir à la manière dont nous pouvons nous rejoindre autour d’intérêts communs : entrepreneuriaux, industriels (notamment la co-industrialisation). Bref, des intérêts qui nous rapprochent.
Entre la rencontre « Inspire & Connect » et le forum franco-sénégalais de mars dernier, les échanges bilatéraux restent nourris, comme en attestent ces deux audiences évoquées plus haut. Peut-on en conclure que la coopération entre la France et le Sénégal est appelée à durer, voire à se renforcer ?
Ce sont les autorités sénégalaises qui déterminent les intérêts stratégiques du Sénégal. Je ne peux parler que des intérêts stratégiques de la France. Et l’intérêt stratégique de la France, c’est de travailler avec le Sénégal dans les domaines où elle partage avec le pays des causes et des intérêts communs. Un Sénégal stable, démocratique, qui porte au Sud une voix importante sur les enjeux globaux, nous rapproche. Si je me souviens bien, la France est le premier investisseur, le premier fournisseur d’investissements directs au Sénégal. Globalement, l’Union européenne est le premier client et le premier fournisseur du Sénégal. Ici, nous avons 270 entreprises françaises qui emploient 30.000 personnes, soit environ 10 % des emplois formels du pays. C’est une relation très fluide parce que nous partageons spécialement la Francophonie. Les entreprises françaises ont compris que lorsqu’on arrive au Sénégal, lorsqu’on y investit, il est essentiel d’avoir un partenaire sénégalais. Il existe ici une richesse d’entrepreneurs et de cadres qui peuvent tout à fait collaborer avec les entreprises françaises dans des joint-ventures. La coconstruction, c’est cela.
La fermeture des bases militaires françaises au Sénégal est en cours. Cette transition suit-elle le calendrier prévu et dans de bonnes conditions ?
Oui, la négociation se déroule de manière particulièrement fluide. Comme vous le savez, le président Macron avait annoncé, en 2022, que nous allions réorganiser notre dispositif en Afrique. Nous menons, avec nos partenaires sénégalais, une discussion totalement confiante et surtout constructive. C’est une discussion entre militaires, car elle est assez technique. Cela se passe parfaitement bien.
Au-delà des militaires, des civils employés sur ces bases sont également touchés par la fermeture. Des mesures concrètes avaient été annoncées pour les accompagner pour leur réinsertion. Qu’en est-il ?
Le général commandant les Éléments français au Sénégal (Efs) a accompli tout ce qui était légalement obligatoire et tenté de sensibiliser les entreprises du secteur privé au fait qu’une main-d’œuvre formée et compétente allait arriver sur le marché du travail. Je sais que plusieurs d’entre eux ont déjà retrouvé un emploi. Ce sujet est suivi directement par les militaires.
Le récent refus de visa à un scientifique sénégalais a suscité une vive polémique. Plus largement, quelles assurances pouvez-vous donner concernant une meilleure transparence et souplesse dans la délivrance des visas ?
La réglementation Schengen est appliquée, de manière uniforme, par tous les pays membres présents au Sénégal. Ce sont des humains qui instruisent les demandes de visa. Dans ce cas particulier, il y avait eu une incompréhension, mais la personne a depuis obtenu son visa. Cela peut arriver. Ce que je peux dire, c’est que nous avons un taux d’acceptation d’environ 62 % pour les visas de court séjour, qui sont les plus demandés. Ce sont les visas permettant aux personnes de voyager, d’aller en France, de revenir, de repartir, etc. En ce qui concerne les rendez-vous, nous avons fait beaucoup d’efforts pour qu’ils soient accessibles. Il y a une situation particulière en cette période de l’année : les étudiants doivent avoir la priorité, car leur année universitaire commence à une date précise c’est-à-dire en septembre. Ils doivent donc obtenir leur visa à temps. Nous leur accordons, en juillet et en août, la priorité. En effet, il s’agit de 20.000 à 25.000 dossiers pour la campagne étudiante. Ces jeunes doivent arriver à temps pour la rentrée universitaire. Nous avons mené une campagne sur les réseaux sociaux pour informer que les étudiants ont la priorité.
Combien de demandes de visa avez-vous enregistrées cette année ?
Nous avons traité plus de 53.000 demandes de visa en 2024, dont la majorité concerne des visas de court séjour Schengen.
Vous êtes en poste au Sénégal depuis deux ans. Des rumeurs font état d’un prochain rappel en France. Pouvez-vous clarifier la situation ?
Le mandat des ambassadeurs est de trois ans avec une possibilité d’extension d’un an. Cela dépend à la fois de la volonté de l’intéressé de rester et de la nécessité de faire tourner les postes. Il est certain que je serai encore là jusqu’à l’été 2026. Ensuite, cela dépendra de mon dialogue avec mes autorités. C’est le président de la République, in fine, qui décide. Chaque année, entre mai et juin, des mouvements diplomatiques sont organisés. C’est à ce moment que les ambassadeurs sont nommés ou changés pour une prise de poste en septembre. Plusieurs de mes collègues en poste dans la région ont terminé leur mission ; ils vont rentrer et seront remplacés. Ici, au Sénégal, la consule générale partira cet été et sera effectivement remplacée en septembre. Une décision en Conseil des ministres a été prise pour nommer son successeur. Peut-être y a-t-il eu une confusion à ce sujet. En tout cas, c’est un mouvement diplomatique annuel qui anime beaucoup le landerneau parisien. Je n’en fais pas partie. Sauf imprévu indépendant de ma volonté-car on ne contrôle ni sa santé ni ses situations familiales-je serai ici au moins jusqu’en juin 2026.
Entretien réalisé par Elhadji Ibrahima THIAM (texte) et Moussa SOW (photo)