La réforme du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, votée le 27 juin 2025 dernier, accorde des pouvoirs élargis aux commissions d’enquête parlementaire qui peuvent désormais sanctionner les personnes qui refuseraient de répondre à une enquête parlementaire.
L’Assemblée nationale a adopté, le 27 juin dernier, la loi organique nᵒ 10/2025 portant sur le règlement intérieur de l’Assemblée nationale à une forte majorité de 138 contre une abstention. Le vote de ce texte a fait l’objet d’un large consensus au sein de l’Hémicycle avec une commission ad hoc regroupant des députés de la majorité, de l’opposition et des non-inscrits.
Le nouveau règlement intérieur s’est fixé aussi comme objectif de renforcer les prérogatives de l’Assemblée nationale en matière d’enquête parlementaire. Le rapport de la Commission des lois précise également une redéfinition des procédures de mise en place des commissions d’enquête parlementaire et du renforcement de ses moyens d’investigation.
La réforme, une révolution selon le député Tafsir Thioye
Selon l’article 48 de l’Assemblée nationale, dans le précédent règlement intérieur, il est mentionné que « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information sur des faits déterminés et soumettre leurs conclusions à l’Assemblée nationale. Il ne peut être créé de commission d’enquête lorsque les faits ont donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits qui ont motivé sa création », peut-on lire dans le document.
Dans le cadre de la réforme du règlement intérieur, Tafsir Thioye, député non-inscrit et membre de la commission ad hoc, a tenu à saluer cette initiative. « Je pense qu’avec cette réforme du règlement intérieur, l’Assemblée s’est arrogée des prérogatives permettant à chaque individu d’être dans l’obligation de venir répondre à une convocation d’une commission d’enquête parlementaire. C’est quelque chose de révolutionnaire », a déclaré le responsable de la coalition « Sopi Senegaal ».
Dans la même dynamique, Ayib Daffé a salué la volonté de l’Assemblée nationale d’accorder plus de moyens financiers et techniques aux commissions parlementaires. « La réforme du règlement intérieur a comme axe principal le renforcement du contrôle de l’action gouvernementale. Ainsi, nous voulons faire de l’enquête parlementaire un outil de transparence nous permettant de jouer pleinement notre rôle de veille et d’alerte des politiques publiques », a-t-il affirmé.
Éclairages
Pour Alioune Souaré, ancien parlementaire, cette réforme va dans le bon sens, dans la mesure où elle renforce les prérogatives de l’Assemblée nationale en matière d’enquêtes parlementaires.
« La question de la commission d’enquête parlementaire était prise en charge par un seul article (art 48). Désormais, les articles de 53 à 58 du nouveau règlement intérieur régissent le fonctionnement des commissions parlementaires. Ainsi, dans l’article 56, il est fait mention que la commission d’enquête fait citer devant elle, par voie d’huissier, toutes les personnes dont l’audition lui parait utile. Les personnes convoquées pour audition devant une commission d’enquête ont l’obligation de déférer à celle-ci, sous peine des sanctions prévues par le Code pénal », a-t-il expliqué.
Toutefois, a souligné le spécialiste des questions parlementaires, cette disposition de l’article 56 peut occasionner quelques difficultés dans sa mise en œuvre. En effet, certaines dispositions du règlement intérieur peuvent heurter des aspects du Code de procédure pénale. « Dans le Code de procédure pénale, des articles 91 à 119 relatifs à l’audition de témoin, seul le juge dispose du pouvoir de contraindre le citoyen à être entendu », dit-il.
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Poursuivant, M. Souaré a déclaré : « Je pense qu’il n’y a aucune disposition de la loi qui puisse autoriser l’Assemblée à sanctionner un citoyen qui refuse de souscrire à une convocation d’une commission d’enquête parlementaire. Néanmoins, le Parlement peut aller vers une modification du Code de procédure élargissant le champ de compétence du président de l’Assemblée nationale ».
Alioune Souaré a indiqué que ce texte risque aussi de remettre en cause le principe de la séparation des pouvoirs, surtout que l’article 56 revient sur le cas où si la commission d’enquête souhaite entendre des magistrats en service, elle devra solliciter l’autorisation du ministre de la Justice.
« Le fonctionnement de la magistrature est soumis aux dispositions de la Constitution, de la loi organique n° 2017-10 portant statut des magistrats et de la loi organique n° 2017-11 du 17 janvier 2017 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. Donc, le règlement intérieur qui est une loi organique ne peut être au-dessus des dispositions qui règlementent le fonctionnement de la magistrature. Ce, d’autant que le principe de la séparation des pouvoirs est ainsi remis en cause par cet article et que le Conseil constitutionnel pourrait retoquer cet aspect du règlement intérieur pour non-conformité avec la charte fondamentale », a-t-il clarifié.
Par Mamadou Makhfouse NGOM