La guerre qui ravage le Soudan depuis plus d’une année peut aboutir àl’une des plus grandes catastrophes pour l’humanité en Afrique avec près de 11 millions de déplacés et environ 20 000 morts, selon les Nations unies. Les quelque tentatives de médiation ont échoués à cause de l’intransigeance des belligérants: Abdel Fattah al-Burhan et Mohammed Hamdan Daglo dit Hemetti.
Le conflit au Soudan oppose, depuis le 15 avril 2023, les forces armées soudanaises et les miliciens des Forces de soutien rapide (Fsr) dirigées par Mohammed Hamdan Daglo dit Hemetti. L’origine du conflit des ex-chefs du Conseil de souveraineté nationale (Abdel Fattah al-Burhan, Président, et Mohammed Hamdan Daglo, vice-président, chef des miliciens), serait la volonté des responsables de l’armée de dissoudre le corps des Fsr,dont la structuration des anciennes milices arabes Djinjawides qui opéraient au Darfour durant la guerre civile (2003-2020) sous le règne d’Omar el-Béchir (1989-2018). Parmi les forces en présence dans le conflit, il y a les Forces armées soudanaises (Fas).
Selon les spécialistes, elles comptent près de 200 000 hommes et peuvent s’appuyer sur une forte capacité (aviation, drones, blindés, artillerie). L’aviation qui est la principale force de l’armée soudanaise empêche les Fsr d’exploiter tout succès tactique sur le terrain militaire,notamment autour de la capitale. L’armée est dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan qui a conduit le corps expéditionnaire soudanais au Yémen, en soutien à l’Arabie saoudite, et aux Émirats arabes unis dans leur guerre contre les rebelles houthis en 2014. Cependant, au fil des années, la corruption, le népotisme et les intérêts économiques ont creuséun peu plus le fossé entre les officiers haut gradés et les troupes.
Des généraux qui, sous le règne d’Omar el-Béchir, ont mis la main sur des entreprises, des usines et des fermes qui leur ont permis de contrôler 80 % de l’économie, selon l’éphémère Premier ministre civil du Soudan Abdallah Hamdok, alors que la solde des militaires était bloquée entre 11 et 16 dollars (6600 à 9600 FCfa) par mois. Cette situation, conjuguée à la montée en puissance des Fsr, notamment dans le conflit au Darfour, a fortement réduit la capacité opérationnelle de l’armée soudanaise.
Les forces soudanaises s’appuient désormais sur des groupes affiliés aux Frères musulmans et islamistes qui se sont ralliés massivement au régime d’Al Burhan dans son combat contre les Fsr. Ces groupes accusent Mohamed Daglo d’avoir précipité la chute de Omar El-Béchir, en 2018, en prenant fait et cause pour les manifestants pro-démocratie. Mais, cette influence a entraîné quelques remous au sein de l’armée en février 2024. Des officiers s’inquiètent de leur pouvoir grandissant dans l’entourage du général al-Burhan qui, face à la pénurie de combattants, a lancé des campagnes de recrutement dans les régions sous son contrôle, dans le centre et le nord du pays. Le pouvoir a délocalisé ses services vers Port-Soudan pour échapper aux combats dans Khartoum, en proie à une guérilla urbaine. Le pouvoir d’al-Burhan peut compter sur des soutiens régionaux (Égypte, Arabie saoudite) et internationaux (Russie et Turquie). En face, il y a les paramilitaires des Forces de soutien rapid (Fsr).
Les troupes des Fsr sont estimées entre 80 000 et 100 000 hommes et plus de 10 000 pickups armés. Les Arabes du Darfour constituent l’épine dorsale des Fsr qui ont pris racine dans ce territoire lors de la guerre civile dans cette partarmé du régime (répression politique contre les manifestations populaires) et la force de projection extérieure (mercenaires dans différents conflits en Libye, au Yémen…).
Des liens claniques et familiaux renforcent la cohésion de cette force très aguerrie dirigée par Mohammed HamdanDaglo dit Hemetti. Ce dernier est un homme d’affaires qui a dirigé l’une des plus puissantes milices Djinjawides au Darfour. Le contrôle de l’exploitation aurifère dans cette région de l’ouest du Soudan ainsi que celle de régions frontalières avec le Tchad lui ont garanti l’une des plus grandes fortunes du pays. Les paramilitaires arabes sont «institutionnalisés»,en 2013, à travers l’érection des Forces de soutien rapide placées sous la responsabilité d’Omar el-Béchir. Le commerce de l’or lui a apporté beaucoup de soutien dans le Moyen-Orient.
Les paramilitaires Fsr peuvent compter sur le soutien desÉmirats arabes unis et la Libye, ainsi que des soutiens discrets de l’Éthiopie, qui a des différends territoriaux avec le pouvoir central à Khartoum, et le Tchad, accusé de faire transiter des livraisons de matériels émiratis vers les paramilitaires Fsr.
Échec des tentatives de médiation de la communauté internationale
Les combats qui se concentrent autour de la capitale, Khartoum, et sa ville jumelle, Omdourman, au Darfour, ainsi que dans une partie des trois États du Kordofan et d’El Jazira, dans le sud du pays, ont fait, selon les dernières estimations des Nations unies, près de 20 000 morts et 3000 000 de déplacés à l’intérieur du pays et dans les pays voisins, dont le Tchad, le Sud Soudan.
Mais, ces chiffres, selon la London school of hygiene and tropical medicine, sont sous-évalués, d’autant plus que le groupe de recherche parle de 61 000 morts dans l’État de Khartoum.
Les tentatives de médiation de l’Arabie saoudite et des États-Unis, lors des pourparlers de Djeddah, en mai 2023, ont échoué devant l’intransigeance des deux belligérants qui semblent privilégier la solution militaire.
La dernière tentative de cessez-le-feu du Conseil de sécuritédes Nations unies a échoué à cause du veto russe, pays allié du pouvoir soudanais. Cet acte a été saluépar le pouvoir soudanais qui, d’après lui, ne portait pas la mention des autorités légitimes soudanaises le 18 novembre dernier.
De l’avis de plusieurs experts, la Russie tente depuis quelques années de s’installer au Soudan pour concrétiser un projet de base navale russe sur la mer Rouge où passe un tiers du trafic mondial de conteneurs. Il a eu aussi d’autres médiations des pays de l’autorité intergouvernementale pour le développement (Igad) et du Sud Soudan, sans succès aussi.
Mamadou Makhfouse NGOM
MOHAMAD SAAD KAMIL, RÉDACTEUR EN CHEF DU MÉDIA SOUDANAIS BROWN LAND NEWSPAPER
« Ce différend était attendu depuis le déclenchement de la révolution populaire au Soudan »
Rédacteur en chef du « Brown Land Newspaper », groupe de presse soudanais, éditeur d’un hebdomadaire et d’un site web, Mohamad Saad Kamil a fui son pays avec sa famille, depuis quelques mois, suite au déclenchement du conflit au Soudan.
Réfugié au Caire, en Égypte, il continue son travail de journaliste et entend sensibiliser le monde entier sur le drame qui déchire le Soudan. Un conflit qui, selon lui, est né d’un différend entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (Fsr), suite à une crise politique.
« La crise politique a été la première étincelle. Mais, ce différend était attendu depuis le déclenchement de la révolution populaire au Soudan. Le conflit est né de divergences à propos de certains partenariats internationaux et dont l’agenda a été mis en œuvre par des politiciens soudanais. Les premiers problèmes ont commencé avec l’Accord-cadre qui prévoyait la période d’intégration des Forces de soutien rapide dans l’armée soudanaise pendant plus d’un an », a-t-il expliqué.
M. Kamil a souligné que cet accord a fait face à de nombreux problèmes et les divergences ont commencé à apparaître au niveau des interviews de presse.
Le Darfour, région soudanaise en proie à un autre conflit depuis plus de deux décennies, est, d’après lui, le théâtre le plus violent de cette guerre. Poursuivant, il a indiqué que « la principale raison est que le gouvernement était du côté des Arabes et les forces Djinjawides qui sont maintenant avec les Fsr ayant profité de la révolution soudanaise.
Ces deux groupes ont développé leurs capacités militaires et se sont dirigés dans la même direction en ciblant les races africaines, dans une tentative de les expulser du Darfour et de former un État qui rassemblerait les Arabes du Soudan, du Tchad, de l’Afrique centrale et du Mali », a précisé Mohamad Saad Kamil. Il a ajouté que la situation humanitaire est très mauvaise au Darfour avec des informations confirmées sur des cas de nettoyage ethnique et de déplacements forcés de citoyens.
Oumar NDIAYE