Le retrait officiel du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la Cedeao marque un tournant majeur dans la dynamique régionale ouest-africaine. À Dakar, cette décision suscite des réactions contrastées parmi les ressortissants de ces pays.
Le retrait des pays de l’Alliance des États du Sahel (Aes) de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est désormais acté. Cette décision historique, prise par le Mali, le Niger et le Burkina Faso, bouleverse l’équilibre sous-régional et soulève des inquiétudes quant à ses conséquences économiques et sociales. Parmi les impacts potentiels de cette séparation figurent la remise en question du droit d’établissement, l’harmonisation des taxations douanières et la libre circulation des personnes et des biens. À la gare routière des Beaux maraîchers, le parc de bus maliens trône à l’entrée, symbole du flux commercial constant entre le Sénégal et ses voisins sahéliens. Les activités y sont intenses : transporteurs et commerçants s’affairent, tandis que des bagages s’entassent en attente d’embarquement. Pour Dagaba Cissoko, ressortissant malien, cette rupture ne changera pas fondamentalement les relations commerciales entre son pays et le Sénégal. «Actuellement, le premier partenaire commercial du Sénégal, c’est le Mali. S’il y a un contrôle accru des papiers, le Mali appliquera la réciprocité», affirme-t-il. Selon lui, cette situation n’arrangerait personne, mais il soutient néanmoins la sortie de son pays de la Cedeao, estimant que l’organisation «n’a rien apporté au Mali». À l’opposé, Daouda Touré adopte une posture plus prudente. Pour lui, son pays devrait maintenir les accords de libre circulation
. «Le Mali dépend, en grande partie, du port de Dakar pour ses importations. Beaucoup de nos concitoyens vivent du commerce et une rupture stricte compliquerait nos affaires», explique-t-il. Daouda plaide pour un dialogue entre les dirigeants afin d’éviter un isolement économique du Mali.
«C’est une affaire d’États, pas de populations»
«Même la Mauritanie qui a quitté la Cedeao cherche, aujourd’hui, à la réintégrer», rappelle-t-il. L’inquiétude se renforce avec la question des pièces d’identité maliennes. «Actuellement, il y a trois types de documents qui circulent. Si un visa est instauré, cela risque d’être compliqué pour nous», alerte-t-il.
À Grand Dakar, dans une dibiterie gérée par Ababakr Issoufou, originaire du Niger, le climat est plus serein. Installé au Sénégal depuis plus de 40 ans, il relativise la portée de cette décision politique. «C’est une affaire de dirigeants, ça ne concerne pas les populations», tranche-t-il, convaincu que les relations humaines et commerciales entre les pays transcenderont les décisions institutionnelles.
Au marché malien du quartier Centenaire, l’incertitude est palpable. On y trouve des produits venus du Mali : gomme arabique, beurre de karité, épices et feuilles de tisanes. Karim Diarra, commerçant, redoute une hausse des taxes douanières. «Elles ont déjà augmenté ces derniers temps. Si ça continue, ce sera comme l’embargo de la Cedeao», craint-il.
Toumani Diaïté, lui, mise sur les liens historiques entre les peuples. «Ma femme est sénégalaise, mes enfants sont nés et ont grandi ici», raconte-t-il, convaincu que la coopération entre les deux Nations survivra aux turbulences politiques. D’autres, comme Abass Kanté, relativisent la gravité de la rupture. «Le problème entre l’Aes et la Cedeao n’est qu’une question de nom. Changez l’appellation de la Cedeao et vous verrez que les dirigeants de l’Aes y retourneront», ironise-t-il. De son côté, Awa Camara, commerçante malienne, appelle au pragmatisme. «Nos dirigeants seront obligés de dialoguer et de collaborer pour préserver l’entente et la dynamique des échanges commerciaux», souligne-t-elle.
Au-delà des opinions divergentes, une certitude demeure : les liens entre les peuples sahéliens et sénégalais sont trop profonds pour être brisés par une décision politique. Reste à savoir si les États sauront trouver un compromis qui préservera ces relations séculaires tout en affirmant leur souveraineté.
Daouda DIOUF