Le Dialogue national lancé par le président Bassirou Diomaye Faye, prévu pour le 28 mai 2025, marque une rupture salutaire dans la tradition politique sénégalaise. Longtemps perçus comme des exercices de rattrapage organisés sous pression, les dialogues politiques au Sénégal survenaient généralement lorsque le pouvoir était acculé, à la recherche d’une porte de sortie. Cette fois, il n’en est rien. L’initiative émane d’un pouvoir légitimé par les urnes, dans un climat apaisé, avec une volonté manifeste de refondation. Cela mérite d’être salué.
L’appel solennel du chef de l’État à une appropriation populaire du processus est, lui aussi, inédit. Il traduit une volonté forte de sortir le dialogue des cercles fermés pour en faire un levier de réconciliation nationale, d’innovation démocratique et de reconstruction collective. Cet élan est d’autant plus remarquable que, pendant ce temps, une partie de l’opposition politique peine à se hisser à la hauteur de l’enjeu, enfermée dans des querelles souvent puériles, déconnectées des préoccupations du peuple.
Ce dialogue constitue aussi, d’une certaine manière, une revanche sur l’Histoire, après le refus et la trahison de l’ancien président Macky Sall face aux Assises nationales, qui représentaient un consensus populaire autour d’une vision démocratique ambitieuse et largement partagée. Ce moment manqué reste un point de fracture dans notre mémoire politique. Aujourd’hui, il nous est offert l’occasion de le dépasser.
Repenser nos institutions, pas les recycler
La première urgence est de revoir l’organisation de notre démocratie. Le Sénégal compte plus de 300 partis politiques, dont très peu ont une activité réelle ou une base populaire. Il est temps d’instaurer un filtre de représentativité fondé sur des critères clairs : nombre minimum d’adhérents actifs, présence nationale, fonctionnement démocratique interne. Cette rationalisation ne vise pas à réduire le pluralisme, mais à lui donner un sens.
En parallèle, le financement des partis doit être transparent. Un fonds public peut être mis en place, attribué selon des critères objectifs, contrôlé par la Cour des comptes, avec obligation de publier les états financiers. Le temps est également venu de reconnaître institutionnellement le chef de l’opposition, avec un statut, un budget et un accès aux médias publics. C’est une condition de maturité démocratique.
Élections : du soupçon à la confiance
Le parrainage tel qu’il existe aujourd’hui est un facteur de tension et de contestation. Il pourrait être remplacé par un système de parrainage parlementaire, ou digitalisé pour garantir transparence et équité. L’inscription automatique sur les listes électorales à partir de la carte biométrique CEDEAO est également une mesure simple et efficace pour lutter contre les manipulations du fichier.
Quant au bulletin unique, il doit devenir la norme. Il simplifie le vote, réduit les coûts, limite la fraude et rend plus difficile la manipulation des électeurs. Enfin, la CENA doit être profondément réformée : transformée en autorité électorale constitutionnelle, indépendante, dotée de réels pouvoirs de contrôle et de publication des résultats par bureau de vote.
Une nouvelle culture politique à construire
Refonder, ce n’est pas seulement modifier des textes. C’est aussi transformer les mentalités et les pratiques. Il faut une charte nationale d’éthique politique engageant les partis à respecter les règles du jeu démocratique, à bannir la violence verbale, à rejeter l’achat de conscience. Le rôle des médias publics, surtout en période électorale, doit être redéfini autour de la neutralité, de l’équité et de l’accès équitable pour tous.
Enfin, il est impératif de renforcer l’éducation civique, dans les écoles, les médias communautaires et les plateformes numériques. Une démocratie solide repose sur des citoyens éclairés.
Saisir l’instant, pour l’Histoire
Le Dialogue national n’est pas une fin, mais un commencement. Il est une opportunité rare de bâtir un contrat républicain renouvelé, plus juste, plus équitable, plus transparent. Le Sénégal a trop souvent manqué ses rendez-vous avec l’histoire à cause de calculs à courte vue. Il serait tragique de manquer celui-ci.
Nous avons aujourd’hui l’occasion de laisser un véritable legs aux générations futures : un système politique clair, une démocratie plus exigeante, et un État plus respectueux de ses citoyens. C’est à cette condition que nous pourrons entrer dans l’Histoire par la grande porte – non pas en tant que spectateurs résignés, mais en tant que bâtisseurs responsables.
Fait à Dakar, le 27 mai 2025
Abdoulaye Dieng – Entrepreneur