La vitalité démocratique d’un État repose sur la solidité de ses institutions dont les partis politiques constituent un pilier fondamental. Au Sénégal, pays souvent cité comme modèle de stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest, le paysage partisan est actuellement marqué par une prolifération des formations politiques et cela suscite de nombreux débats. Rationaliser les partis politiques ne signifie pas restreindre la liberté d’association ou instaurer une hégémonie partisane, mais plutôt renforcer la cohérence du système démocratique en assurant une meilleure représentativité, une responsabilité accrue des partis, et une gouvernabilité plus efficiente. Cette réflexion interroge les limites du multipartisme sénégalais actuel et explore les voies d’une réforme en profondeur.
Le contexte politique sénégalais : un système multipartite hypertrophié
Le Sénégal présente une trajectoire démocratique singulière en Afrique subsaharienne. Après l’abandon du parti unique en 1974 sous Senghor et la libéralisation complète en 1981 sous Diouf (Diop, 2013), le pays a connu une prolifération incontrôlée des partis politiques qui illustre une fragmentation excessive du champ politique. Cette ouverture politique s’est concrétisée par la loi n°81-17 du 6 mai 1981 sur les partis politiques, qui autorisait la libre création de partis sans contrainte idéologique. Mais dans les faits, cette loi n’a jamais été pleinement appliquée. Aujourd’hui, elle est dépassée et mérite d’être revue pour mieux encadrer le fonctionnement des partis et répondre aux réalités actuelles.
Le multipartisme sénégalais est devenu un espace de stratégies électorales ponctuelles plutôt qu’un lieu de construction d’alternatives politiques durables. Ce qui a conduit à une dispersion des forces politiques, souvent caractérisées par un manque de programme clair, une faible implantation territoriale et une personnalisation excessive autour de leaders charismatiques. Le politologue Maurice Duverger (1981) soulignait déjà que “la multiplication des partis sans assise idéologique solide affaiblit la démocratie en diluant la responsabilité politique”. Cette hypertrophie partisane complexifie le processus électoral et nuit à la lisibilité de l’offre politique pour les citoyens (Diop, 2006).
Face à ces dérives structurelles, la rationalisation des partis politiques apparaît non pas comme une contrainte à la démocratie, mais comme une condition de sa revitalisation. Encore faut-il clarifier ce que recouvre précisément cette notion de rationalisation.
La rationalisation des partis politiques au Sénégal : enjeux et voies de réforme
La rationalisation du système partisan désigne un ensemble de mécanismes institutionnels, juridiques et politiques visant à structurer durablement l’offre politique autour d’acteurs représentatifs et responsables. Elle suppose la réduction du nombre de partis par des critères de seuil électoral, d’implantation géographique ou de conformité à certaines obligations démocratiques internes (Barkan & al. 2004).
Cependant, la rationalisation ne doit pas se faire au détriment du pluralisme. Il s’agit d’un exercice d’équilibre entre efficacité institutionnelle et représentativité politique (Diop, 2006). La jurisprudence démocratique doit guider cette réforme, ni hégémonie d’un parti unique, ni anarchie d’une infinité de partis sans consistance. Une telle rationalisation renforcerait le lien entre partis et société, favoriserait l’émergence de programmes crédibles, et restaurerait la confiance citoyenne dans les institutions.
Cette tension entre efficacité et pluralisme constitue le cœur du défi sénégalais, trouver un équilibre optimal qui renforce la démocratie sans la restreindre.
Rationaliser le système partisan au Sénégal : une nécessité face à la fragmentation démocratique actuelle
Aujourd’hui, il devient urgent de mieux organiser les partis politiques au Sénégal. Depuis l’indépendance, on en a créé 339, dont près de 300 rien qu’avec les présidents Wade et Macky Sall, alors qu’à l’époque de Senghor, il n’y en avait que quatre (Diallo, 2023). Pourtant, dans la pratique, seuls quelques partis ont vraiment du poids. Les autres ne servent souvent qu’à faire des alliances temporaires, sans vraie présence sur le terrain (Trans-Saharan Elections Project, 2022). Cette situation complique la vie politique et rend difficile pour les citoyens de s’y retrouver. En plus, certains partis s’appuient sur des groupes religieux ou ethniques (Diallo, 2023), ce qui va contre la Constitution et met en danger la neutralité de l’État. Le coût élevé des élections, avec des cautions importantes, devait limiter les candidatures peu sérieuses, mais en réalité, cela avantage surtout les grands partis. Enfin, beaucoup de partis apparaissent, disparaissent ou changent de forme très vite, ce qui rend le paysage politique instable. Face à tout cela, il est temps de mettre de l’ordre : non pas pour freiner la démocratie, mais pour la rendre plus claire, plus efficace et plus respectueuse des règles du jeu.
Vers un système partisan plus cohérent : quelles réformes possibles ?
Pour mettre de l’ordre dans le système politique sénégalais sans nuire à la démocratie, plusieurs solutions peuvent être envisagées. Il faudrait d’abord durcir les conditions pour créer un parti, en exigeant une vraie présence sur le territoire et un nombre minimum d’adhérents. Cela permettrait d’éviter les partis créés uniquement pour exister sur le papier. Il est aussi important de faire respecter l’article de la Constitution qui interdit les partis basés sur la religion ou l’ethnie, en contrôlant de près leurs discours et leurs pratiques pour protéger l’unité nationale. Le financement public des partis devrait être attribué uniquement à ceux qui obtiennent un minimum de voix et qui gèrent leurs comptes de façon transparente. Concernant les coalitions, il serait utile d’imposer plus de clarté sur leur composition et leurs objectifs, afin que les petits partis ne profitent pas du système de manière déséquilibrée. Enfin, on pourrait limiter les candidatures indépendantes, comme c’est déjà le cas pour les élections locales, pour éviter la dispersion des voix et renforcer la clarté du débat politique à l’Assemblée nationale.
Sôsôli,
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