Ousmane Sene, Directeur du West African Research Center (Warc) examine dans cet entretien avec « Le Soleil » l’état des relations entre les Usa et les pays africains dans le cadre d’une nouvelle configuration internationale marquée par la montée du protectionnisme et la recomposition du système de coopération multilatérale lancée par l’administration Trump.
Quel regard portez-vous sur ce déplacement de 5 chefs d’Etat africains pour une visite officielle à Washington D.C à partir d’aujourd’hui ?
Ces cinq pays sont tous sur la façade atlantique avec quatre qui sont de l’Afrique de l’Ouest et un de l’Afrique Centrale, le Gabon. Il y a certainement une logique derrière ce choix même si le Sénégal, peut inscrire légitimement, sa présence dans une logique historique qui voudrait qu’il soit toujours présent chaque fois que les Etats-Unis ont eu à traiter de questions africaines. Pour les autres pays (Ndlr – l’entretien a eu lieu avant l’audience), leur présence se justifie par les thèmes qui seront débattus au premier rang desquels figureront les questions migratoires d’autant plus que maintenant tous les jeunes africains savent qu’il y a un pays qui s’appelle le Nicaragua. Il sera aussi question de relations économiques et d’échanges sur la sécurité, le djihadisme ayant comme objectif ultime d’occuper la façade atlantique de l’Afrique.
Pensez-vous que ce déplacement va permettre d’infléchir les positions de l’administration Trump concernant l’African Growth and Opportunity Act (Agoa) qui arrive à expiration septembre prochain et le projet de hausse des barrières tarifaires qui risquent de frapper beaucoup de pays du continent ?
On a vu le Président Trump assouplir ses positions chaque fois que des obstacles majeurs se dressent devant lui. Mais je ne suis pas sûr que l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid) et l’African Growth and Opportunity Act (Agoa) puissent revenir à moins que le Gouvernent Trump ne fasse une exception pour le Sénégal et l’Afrique. Ses promesses de campagne indiquaient que les intérêts américains sont au cœur de ses options politiques. Sa préférence dans les relations bilatérales est la transaction, donnant-donnant. Il lui reste encore un peu plus de 3 ans à la Maison Blanche et, même si c’est peu probable, des changements et revirements sont toujours possibles. La nouvelle administration compte axer sa nouvelle politique sur le continent sur la « diplomatie commerciale ».
Pensez-vous que cette stratégie vise à repositionner les entreprises américaines en Afrique face à une Chine de plus en plus omniprésente ?
La volonté de privilégier la diplomatie commerciale a toujours été là. La première fois qu’on a entendu parler de « Trade not aid », c’était avec le Président Bill Clinton. Le président Trump est, avant tout, un homme d’affaires donc les transactions commerciales devront occuper une place importante dans ce déplacement. D’autant que les pays africains regorgent de matières premières et de ressources naturelles (comme le manganèse) dont l’industrie américaine a certainement besoin.
La Chine semble damer le pion aux USA sur le continent mais, au même moment, le Président américain semble encourager les entreprises à s’installer sur le sol américain plutôt qu’a délocaliser ailleurs. C’est ce qui explique cette politique de la surenchère des taxes douanières en cours présentement. Face au désengagement de l’administration Trump des organisations multilatérales comme l’Oms et l’Unesco et la baisse de la contribution américaine en matière d’aides publiques au développement.
Quelles perspectives s’offrent aux pays africains face à la montée du protectionnisme et du repli américain au sein des organisations de coopération internationale ?
Le cas de l’Otan explique un peu l’approche de Trump en matière de coopération internationale : Si l’Amérique donne plus que les autres, il faut donc procéder à un rééquilibrage des engagements financiers. La tendance est au désengagement – au moins partiel – et donc les autres pays devront payer plus pour combler le déficit. Il en est ainsi de l’Organisation du traité de l’atlantique nord (Otan), de l’Organisation mondiale de la Santé (Oms) et cela touchera d’autres organisations multilatérales d’autant que le Président Trump préfère de loin les relations bilatérales. Tout cela aura un impact sur les pays africains qui risquent de perdre certains avantages jusqu’ici offerts par ces organisations et d’avoir à contribuer plus pour la survie de ces mêmes instances internationales.
Le choix de 5 pays (Mauritanie, Sénégal, Guinée Bissau, Liberia et Gabon) de la façade atlantique. Au-delà des questions économiques, y -a-t-il une volonté des Etats Unis de reconfigurer cet espace sur plan géopolitique en renforçant la lutte contre la drogue et l’exploitation d’hydrocarbures avec cette partie de l’Afrique ?
L’Afrique de l’Ouest tend à devenir une plaque tournante du trafic de drogue. L’administration américaine entend aussi freiner les flux migratoires qui quittent la côte Atlantique de l’Afrique pour entrer aux Etats Unis via le Nicaragua. Il y a trois ou quatre ans, le nom de ce pays latino-américain, Nicaragua, ne faisait pas partie du vocabulaire des jeunes africains en quête de prairies plus vertes hors des frontières de leurs pays. Or la lutte contre l’immigration incontrôlée est un point majeur dans l’agenda politique de Washington. Il y a aussi les questions économiques et de sécurité du fait de la présence djihadiste de plus en plus marquée dans certains pays africains en particulier dans ceux de l’Afrique de l’Ouest et du Golfe de Guinée.
Mamadou Makhfouse NGOM