Dans un entretien accordé au Soleil digital, le Professeur Doudou Sidibé, enseignant-chercheur, a apporté un éclairage approfondi sur le conflit persistant entre le M23 et la République Démocratique du Congo (RDC). Son analyse met en évidence l’enchevêtrement de facteurs historiques, ethniques et économiques, tout en pointant du doigt le rôle central du Rwanda dans la déstabilisation de la région.
Pour comprendre la situation actuelle, le Professeur Sidibé insiste sur l’importance de se référer à l’histoire. Il rappelle que, pendant la période coloniale, les Tutsis étaient favorisés par le colonisateur belge, ce qui a engendré des frustrations au sein de la majorité. Après l’indépendance, les Hutus ont pris le pouvoir, poussant certains Tutsis à se réfugier dans les pays voisins. Le génocide rwandais a ensuite bouleversé la donne, avec le retour des Tutsis et la fuite des génocidaires hutus vers le Congo, créant une instabilité persistante.
Selon le Professeur Sidibé, le Rwanda, et plus particulièrement son président Paul Kagamé, jouent un rôle déterminant dans le conflit. Il souligne que le M23 est une réincarnation du mouvement de Laurent Nkunda, qui prétendait défendre les Tutsis congolais. Cependant, il affirme que Kagamé est derrière ces mouvements, cherchant à la fois à protéger les Tutsis et à empêcher le retour des FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda), composées de génocidaires hutus : « Toujours à chaque fois que ce soit Laurent Kunda, que ce soit ce mouvement-là, il y a Kagamé qui est derrière ».
Les enjeux économiques au cœur du conflit
Le Professeur Sidibé insiste sur le fait que sans le soutien du Rwanda, la rébellion du M23 ne pourrait pas prospérer : « Une rébellion qui s’installe à la frontière d’un pays, ça s’il y a pas le soutien du pays frontalier, ça ne marchera jamais ». Il explique que la frontière poreuse facilite le repli des rebelles en territoire rwandais, rendant difficile leur neutralisation par l’armée congolaise.
Au-delà des considérations ethniques et sécuritaires, le Professeur Sidibé met en lumière les enjeux économiques qui alimentent le conflit. Il dénonce l’exploitation illégale des ressources naturelles, notamment le coltan, un minerai essentiel pour la fabrication de microprocesseurs et de téléphones portables : « Le Rwanda soutient ces milices-là qui exploitent le Coltan ». Il explique que le coltan est exporté via le Rwanda vers la Chine, où des entreprises multinationales l’utilisent pour fabriquer des produits électroniques. L’argent généré par ce commerce illégal finance la guerre, créant un cercle vicieux de violence et d’exploitation.;
Une paix durable compromise par les mauvaises relations
Le Professeur Sidibé se montre pessimiste quant à la possibilité d’une paix durable tant que Paul Kagamé restera au pouvoir. Il estime que les relations exécrables entre le Rwanda et le Congo rendent difficile toute négociation et concession. « Tant que Paul Kagamé est là (président du Rwanda : ndlr), il y aura pas forcément une paix définitive ». Il rappelle que Kagamé avait soutenu Laurent-Désiré Kabila dans sa prise de pouvoir, mais que ce dernier avait fini par renvoyer les Rwandais, créant un ressentiment tenace.
Malgré le tableau sombre qu’il dresse, le Professeur Sidibé entrevoit des pistes pour sortir de la crise. Il souligne la nécessité d’une médiation, bien que les facteurs aggravants rendent celle-ci extrêmement difficile. Il appelle également à la coopération régionale et à la nécessité pour les pays africains de trouver des solutions africaines aux problèmes africains. Il cite l’exemple de la réconciliation franco-allemande après la Seconde Guerre mondiale, soulignant que même les conflits les plus anciens peuvent être surmontés grâce à la volonté politique et à la construction de relations positives.