Il y a des mots qui ont le charme discret des évidences. « Dialogue » est de ceux-là. Il traverse les discours, s’invite dans les titres de conférences, couronne des initiatives que l’on espère salvatrices. Mais comme toute évidence trop bien portée, il risque l’usure. Usé jusqu’au silence, jusqu’à ne plus faire sens. Et pourtant, au Sénégal, ce mot retrouve aujourd’hui une fraîcheur. Il reprend du souffle. Il s’enracine dans une promesse : celle d’un président nouvellement élu qui, au lieu de crier, choisit de parler. Ou mieux : d’écouter. Bassirou Diomaye Faye, en convoquant un dialogue national pour le 28 mai 2025, a pris le parti — rare en politique — de croire aux vertus du débat. Non pas ce simulacre de débat où chacun campe sur ses positions, mais le dialogue comme lieu de friction féconde, où la parole devient pont et non mur.
Il ne s’agit pas d’un simple exercice de style. Les termes de référence, transmis depuis le 7 avril à l’ensemble des forces politiques, aux représentants de la société civile, aux dignitaires religieux et coutumiers, dessinent une ambition plus vaste : refonder le système politique sénégalais. Voilà un mot fort : refonder. Il implique que quelque chose est à reconstruire, non par effraction, mais par intelligence partagée.
Trois axes structurent ce chantier : démocratie et droits humains, processus électoral, et réformes institutionnelles. C’est ample. Presque vertigineux. Car il faudra, au fil de ces échanges, poser des questions que d’aucuns croyaient tranchées, mais qui, en vérité, ne l’ont jamais été. Le financement des partis ? Opacité. Le système de parrainage ? Contesté. Le bulletin unique ? Encore tabou. Le rôle de la justice dans les élections ? Éminemment sensible. Rien, dans ces sujets, ne se prête au raccourci. Tout appelle nuance, rigueur, compromis.
Il faut du courage pour ouvrir ces dossiers-là. Non pas le courage du héros, mais celui, plus exigeant, du médiateur. Il faut surtout, pour les mener à bien, une foi obstinée dans la parole échangée, dans cette alchimie incertaine où chacun, un jour, accepte de ne pas avoir raison seul.
Le dialogue en politique n’est pas une mode ni un luxe. C’est une nécessité. Une respiration. Dans les sociétés qui bruissent de tensions, d’injustices accumulées, de frustrations contenues, le dialogue est une forme d’hygiène collective. Il évite l’inflammation. Il retarde — parfois prévient — l’irréparable. Mais dialoguer ne signifie pas diluer. Ni ajourner. Le président Diomaye Faye semble l’avoir compris : il ne s’agit pas de parler pour différer l’action, mais pour mieux l’orienter. Ce que suggère aussi sa volonté d’inclusion. Car pour que le dialogue soit fécond, encore faut-il que les chaises autour de la table ne soient pas toutes occupées par les mêmes. Autorités religieuses et coutumières, acteurs économiques, représentants des jeunes et des femmes, anciens opposants comme alliés d’hier — tout le monde est convié. Reste à savoir si tout le monde répondra. Et surtout : si tout le monde sera écouté.
La démocratie sénégalaise, souvent citée en exemple dans la région, ne manque ni de vitalité ni de contradictions. Elle est vivante, bruyante, vibrante. Mais elle a, comme toutes les démocraties, besoin de se réinventer pour durer. Le dialogue national de mercredi prochain pourrait bien en être le levier. À condition, bien sûr, qu’il échappe au formalisme. À condition qu’il accepte l’inconfort du désaccord. À condition qu’il ne soit pas un théâtre, mais un chantier.
On pourrait dire, avec un brin de scepticisme, que le Sénégal n’en est pas à sa première tentative. Que des dialogues, des concertations, des forums, le pays en a connus. Et que, souvent, ces espaces ont accouché de promesses vite oubliées. Oui. Mais ce qui fait la force d’un dialogue, ce n’est pas son intitulé. C’est l’esprit qui l’anime. Or il se pourrait bien que l’heure, cette fois, soit différente. Moins verticale. Moins verrouillée. Plus ouverte. Il y a, dans la démarche actuelle, une forme de maturité politique. Une conscience que la vérité ne se décrète pas, mais se construit. Qu’elle n’est ni dans les bureaux ministériels, ni dans les seuls slogans militants, mais dans l’interstice. Là où s’échangent, parfois maladroitement, des visions du pays que tout oppose — sauf peut-être l’essentiel : la volonté de le faire tenir debout.
En invitant le pays à se parler, Bassirou Diomaye Faye prend un risque. Celui d’être contredit. Celui d’être débordé. Celui, même, de voir surgir ce qu’il ne voulait pas entendre. Mais il faut rendre grâce à ce risque-là. Car en politique, le plus grand péril, ce n’est pas le tumulte. C’est le silence. C’est le huis clos. Le dialogue est peut-être lent. Il n’offre pas de victoire immédiate, pas de trophée. Mais il laisse derrière lui un sol plus solide. Il construit du commun. Et dans les temps troublés que traverse le monde, cela vaut toutes les lois votées à la hâte.
Alors que la date du 28 mai approche, souhaitons que ce moment ne soit pas une parenthèse. Mais un début. Non d’une ère miraculeuse, mais d’une habitude salutaire : se parler, encore et encore, pour continuer à faire société.