Il y a une dizaine de jours, j’ai croisé, au cours d’une activité, un ancien directeur général d’une grande boîte. À l’époque, c’était du temps de Wade, il était super puissant et régnait comme un seigneur. Mais l’autre jour, il était méconnaissable et avec sa mine désolée, il était obligé de décliner son identité pour que les gens se souviennent de lui. Triste sort.
C’est le revers, l’ingratitude de la politique. On est super puissant un jour et un autre jour, on est impuissant, on ne représente rien. La vie nous l’a démontré à plusieurs reprises. Des présidents qui se croyaient éternels sont tombés de leur piédestal emportant dans leur chute collaborateurs, sous-fifres et troubadours. Des milliardaires qui se croyaient surpuissants se sont retrouvés dans de sales draps, jetés en prison sans que leur fortune ne puisse les sauver. Récemment, Tahirou Sarr, malgré sa colossale caution qui a fait jaser, a été envoyé en prison suite à l’affaire des 125 milliards de FCfa révélée dans un rapport de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif). L’opérateur économique accusé d’« escroquerie sur les deniers publics et de blanchiment de capitaux » a été précédé, quelques jours plus tôt par Farba Ngom.
Le maire des Agnams, influent homme politique et proche de l’ancien président de la République, Macky Sall, après son deuxième face-à-face avec le juge d’instruction du Pool judiciaire et financier, n’est pas rentré chez lui. C’était inimaginable quelques mois, quelques années plus tôt. Tellement l’homme paraissait intouchable. Mais, ne dit-on pas que nul n’est au-dessus de la loi ? C’est d’ailleurs la formule préférée des politiciens ; surtout quand ils sont de l’autre côté de la rive. Et curieusement, quand c’est un des leurs qui est choppé, la justice est toujours « instrumentalisée ». Sacré paradoxe.
La justice de notre pays peut-elle être « juste » pendant douze ans et devenir « injuste » quelques mois seulement après un changement de régime ? Mais chez nous, les chiens aboient toujours et la caravane passe toujours et aujourd’hui, rien ne semble pouvoir freiner la machine mise en branle par les nouvelles autorités dans le cadre de la lutte contre les crimes économiques. Depuis plus d’un quart de siècle, notre pays a été envahi par de nouveaux riches. La politique a façonné beaucoup d’hommes et de femmes, a enrichi beaucoup d’arrivistes qui baignent dans l’opulence la plus insolente. La Loi n’interdit à personne d’être riche ; ce qui est condamné, c’est de le faire avec des moyens peu moraux. Depuis 2012, l’Armp, l’Ofnac, l’Ige et la Cour des comptes aujourd’hui vouée aux gémonies ont publié des rapports accablants sur la gestion des ressources publiques.
Des autorités ont été épinglées avec des recommandations des auditeurs pour des poursuites judiciaires ou des sanctions administratives exemplaires. Aucune suite n’a malheureusement été donnée à ces dossiers qui ont été rangés dans les tiroirs pour ne pas dire placés « sous le coude ».
Dans un pays qui se respecte, il est tout à fait normal qu’un ancien ministre ou fonctionnaire accusé de s’être illégalement bâti un vaste patrimoine pour avoir eu à gérer d’importants budgets puisse justifier ses avoirs. Et ce qu’il y a de positif dans la lutte contre l’enrichissement illicite, c’est qu’elle permet de sauvegarder les deniers publics, de moraliser et d’assainir l’exercice du service public.
Conscients que le principe de la présomption d’innocence et l’obligation faite au parquet d’apporter les preuves de la culpabilité pouvaient constituer des facteurs bloquants, les textes proposent un renversement de la charge de la preuve. Avec le Pool judiciaire financier récemment mis en place et qui « exerce une compétence concurrente à celle des juridictions de droit commun, pour la poursuite, l’instruction et le jugement des infractions à caractère économique ou financier présentant une grande complexité, en raison notamment du nombre important d’auteurs, de complices ou de victimes, de l’importance du préjudice », tous les gens soupçonnés de délinquance économique devront répondre de leurs actes.
Et seule la justice pourra déterminer s’ils sont coupables ou non des faits d’enrichissement illicite, de détournement ou de blanchiment qui leur sont reprochés. Tout le reste n’est que verbiage. sambaoumar.fall@lesoleil.sn